Perfect !

 

 

 

>> Insert coins to play ! <<

 

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été un sale égoïste, un pingre et un maniaque, et ma foi, ce comportement avait bien payé jusque là.

 

Evidemment, ma première tentative d’altruisme m’est retombée dessus avec toute l’ironie que l’on prête à la Providence en ces occasions.

 

Le manque d’expérience, sans doute.

 

Mais je pouvais pas lutter.

 

Parfois, c’est le destin qui tient la manette du player 1[1].

 

 

 

>> How to play <<

 

Mon nom est Joël. Jo pour les amis, mais pour ce qui me concerne, j’en ai pas beaucoup qui me connaissent par mon vrai prénom.

Vous vous apercevrez rapidement que ma principale préoccupation dans la vie sont les jeux vidéos.


Je pourrais vous parler des heures de l’étrange fascination que j’éprouve vis-à-vis des jeux vidéos, sans pour autant cerner avec précision les innombrables facettes de l’intérêt incessamment renouvelé qu’ils suscitent en moi.

Parfois j’y vois une distraction magique, un plaisir de l’instant, parfois je ressens comme au travers d’une œuvre d’art les sensibilités de ses créateurs, je me délecte de l’observation par l’interactivité d’univers nouveaux et changeants, dans lesquels parfois je fusionne avec les créateurs eux-mêmes pour ajouter ma touche de personnalisation. Parfois encore, loin de la création, j’observe lointainement un scénario complexe aux personnages vivants, tracés en lignes, en dessins ou même en relief, mais qui se matérialisent réellement dans mon esprit.

 

Plus prosaïquement, j’étais un hardcore gamer[2] qui sacrifiait tout à sa passion, et encore le mot sacrifice n’est pas si bien choisi : pour moi, il y a « la comédie de la réalité » dans laquelle s’exercent des règles aussi, des règles non écrites mais étroites comme des petites prisons, comme s’habiller, aller à l’école, passer des examens, trouver un job, récupérer de l’argent…tout un tas de trucs sans intérêt pour obtenir la légitimité de pouvoir se plonger dans le jeu, l’art du jeu, la liberté du jeu.

 

Physiquement ? J’aimerais vous dire à quoi je ressemble, mais franchement j’en sais trop rien. J’ai pas de miroir chez moi.

 

 

A l’époque où commence cette  histoire, l’actualité du secteur était en effervescence par l’arrivée prochaine de la GameCube[3], mais, et surtout, de la Xbox[4], un petit bijou pour lequel j’avais séché deux mois de fac pour bosser en opérateur de saisie ordinateur intérimaire, et accumulé un petit pécule qui me permettait de renouveler mon inscription scolaire, de payer une demie année de loyer, mais aussi de faire l’acquisition de cette machine de rêve.
Et je peux vous dire que j’en avais sacrément rêvé.

 

J’avais comaté une demi-heure en tenant le crachoir à une employée du service scolaire aussi sympa qu’un agent du fisc en inspection. Il y avait gras de monde de partout, parce que je m’étais pointé le dernier jour des inscriptions, mais je m’en étais tiré à l’aise, et j’étais reparti avec mon dossier sous le bras, en sifflotant, partagé entre la perspective de faire un petit Everquest[5] ou progresser dans ma deuxième tentative de terminer Seiken Denseku[6] 3 version japonaise.
J’étais très RPG[7] dans cette période, normal, le stress de la rentrée.

 

Et alors…j’ai heurté quelqu’un qui marchait au hasard dans le couloir. Ca m’arrive plutôt souvent, et c’est plutôt souvent moi, en fait, qui titube et qui heurte, mais là ce n’était pas le cas.

Comme à l’habitude, j’ai grommelé quelque chose sans perdre le fil de mes conjectures ludiques, mais la personne sembla insister et je quittais les images de mon esprit pour poser les yeux sur la jeune fille.

 

C’était une…une charmante demoiselle, à peu prés mon âge, je pense, bien que je ne sois pas certain de mon propre âge, enfin disons jeune. Jeune, élancée, petite, car elle m’arrivait à l’épaule, et des cheveux courts qui entouraient un visage gracieux et fin où s’ouvraient deux grands yeux pleins de larmes. Des larmes, oui. Et un portable à la main. Mais surtout des larmes, c’est bouleversant vous savez.

Elle me demanda conseil, service, elle était perdue. Il lui fallait…une grosse somme, aux alentours de deux mille francs pour contracter l’assurance étudiante et valider son inscription aujourd’hui. Un oubli fâcheux lavé de mon esprit par une excuse plausible, des parents partis loin en voyage, et personne pour venir à son secours. Comment faire ? Elle était désespérée, elle m’envoyait ses grands yeux de veau perdu dans les miens.

 

Je dois dire que je me sentais comme l’Avatar d’Ultima[8], prêt à secourir la jeune princesse éplorée, le tendre orphelin, le paysan bourru, et puis la Xbox n’allait sortir que dans deux mois : si l’argent accumulé pour cela pouvait être donné pour la bonne cause et rendu à temps pour l’achat, autant pour mon karma, n’est ce pas ?

Magnanime et humble, et après quelques hypothèses diverses émises pour la forme, nous en arrivâmes à l’inévitable, et je lui expliquais que je pouvais lui prêter la somme, sous la condition de me la rendre à temps, ce qu’elle promit et re-promit entre maints chaleureux remerciements. Elle était si mignonne, heureuse, avec son sourire charmant et ses manières enjouées, elle s’appelait Patricia, et nous échangeâmes nos numéros de téléphone et la promesse de nous revoir pour procéder au remboursement pendant les vacances.

 

Je rentrais dans ma piaule, où le plancher colle, le cœur léger, triplement heureux d’avoir fait une bonne action, d’avoir rencontré une jolie fille, et de me mettre enfin à Everquest.
Je me loguais sur le serveur en me disant que de toute façon, dans les jeux vidéos, quand un innocent vous demande de l’argent pour une bonne cause, faut toujours donner car l’on trouve toujours récompense supérieure. Je plaisantais avec moi-même en songeant que je recevrais bientôt de l’argent, un objet spécial ou des xp[9].

 

La réalité me rappela vite à l’ordre de ses propres règles.

 

Je n’ai eu aucune nouvelle de la belle dans les délais fixés. L’échéance à laquelle je devais verser les arrhes pour la réservation de mon trésor technologique passa, et, du doute, je sombrai dans l’angoisse la plus noire.

 

Un soir je me convaincs de l’appeler mais son numéro de portable était un faux. Je retournai encore et encore les possibilités, en rasant les murs, en dialoguant avec des potes sur les forums[10] de jeux vidéos.

Mais il n’y avait rien à retourner, sinon des évidences.

 

Et l’évidence, c’était que je m’étais fait anarquer comme un bébé blaireau.

 

J’ai tellement eu d’amertume et de dégoût que je suis allé faire un tour dehors, en marchant lentement, passant du rêve des jeux à l’autre rêve qu’est la réalité. Il faisait nuit et chaud, et le vent bruissait dans les marronniers du jardin du Luxembourg. Quand on plissait les yeux, on voyait des étoiles fines comme des petits pixels mourants.

Je m’appuyais tristement aux barreaux de la herse du Jardin. La réalité nous enferme tous dans des petites prisons dont nous sommes les bâtisseurs enthousiastes et inconscients.

La mienne avait un nom : naïveté.

 

 

Level 1 !!
Good Luck !!

 

J’avais eu besoin de réflexion, et j’alternais les marches reposantes pour aller acheter Joystick au kiosque et les longs marathons RPG sur super nes[11].


Le deuil de mon anarque passa douloureusement au cours de longues parties de Earthbound[12], Breath of Fire[13], Chronotrigger[14], Final Fantasy[15] 6, ne m’éveillant de la torpeur mécanique du levelling[16] de mes persos que pour l’affrontement tactique des boss[17].

 

La rentrée scolaire arrivait malgré moi et malgré ma volonté d’oublier le temps qui passait.

Mais cette échéance allait néanmoins me réserver quelques surprises.

 

Je suis arrivé en traînant les pieds. Pour moi, fac, hôpital, ou bâtiment dans lequel on va chercher les APL, tout est froid, gris et tristounet. J’ai vite abandonné l’idée de pointer à la machine à café pour obtenir mon quota de sucre/caféine pour la matinée (j’avais fini le coca la veille) au vu du monde qui se pressait religieusement autour, et je me suis dirigé vers cet espèce de tableau dont je ne connais pas le nom mais où les gens punaisent des trucs, genre des profs absents.

J’y vais régulièrement jeter un coup d’œil, parce que des fois on trouve des propositions d’achat de jeux vidéos d’occasion.

 

Il n’y en avait pas, comme quoi la journée commençait mal, mais je sursautais de surprise en apercevant Patricia, relevant consciencieusement l’emploi du temps de l’amphi sur un cahier.


« Tiens donc », fis je avec un flegme qui me surprit le premier.


Patricia aiguisa ses yeux et sembla fouiller un instant sa mémoire pour m’y situer, et ne cacha pas sa surprise, bouche bée.

-« Alors, l’été fut agréable ? » demandais je avec un calme qui présageait une terrible tempête.


Elle se ressaisit remarquablement vite. La stature droite, les yeux fixes, les traits graves, elle déclara :

-« Je n’ai pas ton argent.

- J’avais cru comprendre. Et pourquoi tu m’as pas appelé ? Mon numéro, au moins, n’était pas faux.

- J’avais des raisons personnelles, répondit elle, glaciale.

- Des excuses auraient suffi si les raisons étaient trop personnelles. »


J’aurais pu lui arracher son cahier, noter son adresse et aller voir ses parents. Mais j’étais tellement dégoûté de cette affaire que je voulais en finir vite et définitivement.

Elle poursuivit, arrogante :

« Je te rembourserai dès que je le pourrai, c’est pas tout de suite, désolée. Je te remercie de ta patience. Tu pourras vivre sans cette petite somme, je pense. Si tu en as besoin pour manger, et bien, je te donnerai la moitié de mes sandwichs, ca va ? »

J’approchais d’elle comme un fauve, le front baissé.


Cette « petite somme » qu’elle évoquait d’un ton désinvolte, c’était un dur travail qui m’avait tenu loin de mes plaisirs et de ma liberté. C’était le rêve, l’excitation sourde d’une année pour obtenir enfin ce que j’avais tant désiré, le plus tôt possible.

C’était des sacrifices sur mes autres plaisirs aussi, sur ma nourriture également.


Elle minauda prétentieusement et je la giflai du dos de la main, sèchement mais pas très fort, plus pour le geste que le choc physique. Je m’approchais encore d’elle jusqu’à ce que nos visages fussent très proches et j’articulais à mi voix :

« C’était très important pour moi. Tu as gâché quelque chose d’inestimable à mes yeux. »


Je ponctuais avec un regard bien senti qui lui traduisait mon état d’esprit, et je tournais les talons.

 

Je m’assis comme un zombie au troisième rang de l’amphi, trop loin pour les polards et trop près pour le reste, donc tranquille, pour mariner mes derniers relents d’amertume.

 

Les pensées positives et constructives reprirent rapidement le dessus au fil des jours.

Je calculais qu’en jouant sur le loyer, sur l’argent de poche de mes parents en province, et sur un savant régime à base de Dia-cola et de chipsters Leader Price, je pourrais éventuellement me payer une GameCube, ce qui était certes moins bien qu’une Xbox, mais toujours quelque chose.

 

J’étais en train de réfléchir à la façon de manger pour deux euros par jour quand je m’aperçus que Patricia s’était assise à coté de moi dans l’amphi.

Elle me lança un regard désolé.

-« Excuse moi, fit elle, penaude.

- Tu as mon argent ? demandais je sans trop y croire.

- Non. Mais…

- Le reste ne m’intéresse pas. »

Je claquais le carnet de notes dans lequel j’étais en train de griffonner les symboles des roues solaires de Fate of Atlantis[18] et je partis immédiatement, en plein cours. Sa présence m’insupportait.

 

Mais c’était sous-estimer la persévérance féminine.
Elle réitéra la même approche le lendemain, mais cette fois ci un rang d’amphi en arrière. Quand je m’aperçus qu’elle était encore là, je sursautais de frayeur, puis je lui grognais qu’elle devait me laisser tranquille.

A la fin du cours elle m’attrapa par la manche :

-« Ecoute moi, dit elle hésitante.

- Tu as mon argent ? Je redemandais dans l’espoir d’avoir une bonne raison de m’enfuir.

- Ton argent, ton argent ! répéta-t-elle, j’en avais besoin ! Et je te remercie de me l’avoir donné !

- Pas pour t’inscrire en tout cas ! J’ai compris ça aussi. Je me suis fait avoir du début à la fin ! Champion du monde le Joël ! »

En fait, elle m’avait raccompagné à l’extérieur de la fac avant de s’inscrire, et je n’ai compris que plus tard qu’elle avait en fait déjà déposé son dossier depuis longtemps.

Des trahisons dans les trahisons, ainsi va le monde.

-« Joël, comprends moi. Tu as déjà été amoureux ?

- Non. »

Ce qui était faux, je l’avais été éperdument, et elles s’appelaient Chani[19], Shodan[20], Maureen[21], Elaine[22], et tant d’autres aux sensibilités digitales qui m’avaient habité puis, dans la maturation de l’adolescence, hanté.

Je laissais Patricia hausser les épaules avec impuissance devant mon hermétisme et je m’enfuis encore.

 

Elle me coinça encore une fois dans un couloir quelques jours après.

Elle avait bien calculé son coup.

 

Droite pour ne pas se sentir trop petite, les mains sur les hanches, elle m’interpella autoritairement et s’avança directement vers moi. A vrai dire, je craignais qu’elle me rende ma gifle de l’autre jour, mais ce ne fut pas le cas.

 

Elle me tendit une poignée de billets.

-« Sept cent francs, dit elle. C’est tout ce que j’ai. Tu auras le reste plus tard. »

Cela m’ennuyait, je ne sais pas pourquoi. On devient accro à l’altruisme, je pense. Je me doutais qu’elle avait du rassembler toutes ses économies pour arriver à cette fraction de la somme et je me trouvais soudain dans la peau d’un extorqueur de fonds ; un rôle qui ne me plaisait pas vraiment.

Je lui fourrais les billets dans sa poche.


 « Le mal est fait, j’en avais besoin avant, dis-je toute amertume lavée dans le ton et dans le coeur. Reviens me voir quand tu auras la somme, on sera quitte. »


Je prolongeais un petit silence en montrant ma paume et j’esquissais un sourire formel.

 « J’observe tes efforts pour essayer de me rembourser. Essayons de terminer cette histoire le plus simplement possible pour nous deux. »

Elle hocha la tête, pinça ses lèvres et me demanda :

-« Que voulais tu faire avec cet argent ?

- Je voulais acheter une Xbox.

- Une quoi ?

- Une Xbox.

- C’est quoi, une moto ?

- C’est une console de jeux vidéos. »


Ses sourcils s’alignèrent. Elle semblait triste et étonnée.


- « Des jeux vidéos…répeta-t-elle pour elle-même.

- Les jeux vidéos comptent beaucoup pour moi. On ne peut pas toujours comprendre les gens. » Je rajoutais à demi voix, « de même qu’il ne faut pas toujours s’attendre à être compris. »

 

Je la laissais dans sa méditation et quittait la fac pour la journée. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais plutôt pas mal.

 

Il pleuvotait un peu, les nuages n’étaient pas lourds mais le ciel était gris, un temps à se faire un bon petit Ultima Underworld[23] ou un LucasArts[24].

 

 

 

Level 2 !!
The Battle Begins !!

 

 

Une quinzaine de jours plus tard, j’avais une main dans un paquet de chipsters et l’autre tenait le pistolet NES[25] et je me la pétais old school devant un petit Duck Hunt[26] en écoutant la radio.

 

Mon téléphone sonnait. Vu que mes parents m’avaient passé le coup de fil hebdomadaire, ça devait être un sondage, mais bon, y avait juste à tendre le bras, et je l’ai tendu.

 

- « Chalut, articulais-je en finissant bruyamment les chipsters.

- Je te dérange alors que tu es en train de dîner ? me demanda Patricia.

- Ouais…mais je vais te pardonner. Des news ? » et je renfournais une poignée de chipsters en descendant un canard.

- « Je voulais savoir, puisque tu voulais t’acheter un Xbox avec l’argent que je te dois, est ce que si je réussis à te faire avoir un Xbox on peut considérer que je te dois plus rien ? »

Je mâchais longuement deux autres fournées dans un silence méditatif.

-« On dit « une Xbox » et pas « un Xbox ». C’est une console de jeu.

- Peu importe c’est un terme anglo-saxon.

- Ouais mais on dit « une ».

- Ecoute c’est pas là le problème ! cria-t-elle avec exaspération. Je veux dire, est ce que…

- Ah oui, si je peux avoir une Xbox à la place, ça roule. Une neuve, attention. »

L’entretien se conclut rapidement sur deux trois banalités relatives aux débuts de notre scolarité, et sans plus d’explication la sournoise me donna rendez vous le lendemain à la sortie de notre premier cours.

 

Je ne fus pas surpris de la voir sans un énorme carton Xbox entre les bras, bien évidemment. Elle n’en était pas moins fière néanmoins, et me tendit un flyer coloré.

 

Un flyer de la Japan Expo.

Je passais sur les intervenants, l’évènement ne m’étant pas du tout inconnu par sa nature, et je remarquais le concours de King Of Fighters[27] qui y était organisé avec pour premier prix un voyage au Japon et en second prix…une Xbox.

 

-« Avec un an de jeux Xbox offerts ! clama Patricia avec fierté. Super non ?

- C’est pas génial en fait, expliquais-je en lui rendant son papelard. C’est la Japan Expo[28]. Ils pourraient offrir des Neo Geo ou des GameCube. Xbox, c’est américain. C’est assez illogique.

- Laisse tomber ca, gros lourd, t’as pigé : tu finis deuxième tu gagnes une Xbox et un an de jeux pour ta Xbox ! Plus de jeux que tu pourras jamais jouer avec !

- Deuxième à King of Fighters ? »

J’effaçais un sourire sceptique puis énonçait didactiquement :

- « Je connais King of Fighters. J’ai une Néo Géo et j’ai même des cartouches originales de ce jeu chez moi, et crois moi ça a été du sacrifice ça aussi. J’y ai longtemps joué et j’y joue régulièrement. Mais je n’ai absolument pas le niveau pour soutenir un tournoi. Oh, et encore moins finir deuxième. »

 

Je m’éloignais, mais elle me poursuivait comme elle poursuivait son idée, à l’instar d’un mauvais Dating Game[29] :

 

- « Allez, c’est qu’un jeu vidéo, c’est un coup de bol, un peu d’habileté comme au flipper. Tu joues tout le temps. Tu perds rien à essayer.

- Non, ça n’a rien à voir. Tu sais jouer aux échecs ?

- Ben…je sais comment on déplace les pions.

- Et bien c’est comme si je te demandais de jouer demain contre un grand maître. Tu te choperais la honte. »

 

Elle se mura dans le silence, je lui tournais encore une fois le dos. Je n’étais pas déçu. L’habitude, sans doute.

Elle me héla encore alors que je m’éloignais :

-« Et je croyais que tu jouais tout le temps aux jeux, que tu étais super fort ! C’était de la blague !

- Je suis super fort effectivement, avouais je sans modestie, mais je n’ai pas la spécialité King of Fighters.

- Et si tu t’entraînes à fond, tu n’as pas une chance ? »

 

Une chance ?

 

Je m’éloignais et je réfléchissais.

S’entraîner ne serait pas suffisant, puisque ceux qui avaient un niveau supérieur s’entraînaient déjà. Il me manquait une connaissance académique du jeu qu’avaient les vrais pros. Une connaissance qui ne s’apprend que sous la lumière sourde que confère l’expérience personnelle.

Ou alors…ou alors transmise par un grand champion.

 

Patricia était têtue :

« Un Xbox avec un an de jeux ! Des dizaines, des tonnes de jeux, mince ! »

Je stoppai et la rejoignis en quelques pas silencieux et méditatifs. Je levai mes yeux sur elle et plongeai mon regard dans les siens.

Il y eut un long silence que je prolongeais le plus possible par la tentation qui m’étreignait les tripes.

Les lèvres sèches de mon combat intérieur, je dis enfin d’une voix blême, vaincu :

« En tant que joueur, le challenge m’intéresse néanmoins. »

 

Patricia arbora un grand sourire. Je poursuivis, d’un ton méthodique.

- « Il me faudra savoir sur quelle version se déroule le tournoi. J’ai la console, la cartouche, la télé. Il me faut de la doc, beaucoup de doc. Je compte sur ton soutien pendant mon entraînement. »

Je fis une pause tandis qu’elle hochait la tête, et me résignais à accepter la partie la plus difficile :

«  Il me faudra également un mentor. »

- Un quoi ?

- Un maître », soufflais je d’un respect religieux. « Quelqu’un de niveau supérieur au mien qui daigne m’enseigner son savoir sur King Of Fighters.

- Bah…ce n’est qu’un jeu vidéo », trancha Patricia d’un ton désinvolte en haussant les épaules.

 

Plongé dans mes pensées, je ne perçus sa dernière intervention que plus tard. Levant un sourcil, je lui déclarai alors sèchement :

« Tu te trompes lourdement. Ne fais pas ta niaise s’il te plaît en parlant de choses dont tu ne connais rien. Rien de rien. »

Je conçois que cet avertissement peut sembler extrême à qui n’a que vaguement entendu parler des jeux vidéos et de King Of Fighters en particulier.

Mais elle comprendrait vite dans quelle galaxie elle venait de nous entraîner.

 

Mes narines frémissaient d’excitation à l’ampleur du défi qui se profilait à distance.

Je lui pris le poignet et l’accompagnais vers la sortie à grands pas.

Le temps pressait, l’échéance était proche et la tâche immense.

 

Il me fallait un mentor le plus vite possible et je n’en connaissais qu’un seul qui aurait pu m’accepter.

 

Level 3 !!
Fight !!

 

J’ai fait un petit saut chez moi pour récupérer ma manette que je fourrais dans un sac à dos effiloché aux entournures, et nous avons pris la ligne 7 direction la Courneuve.

 

Dans le métro, je lui tendis ma GameBoy[30] :

« Tiens, je t’ai pris Pokemon[31]. Comme y a pas encore The Sims[32] sur GameBoy, c’est le truc le plus féminin que j’ai pu trouver. »

Elle déclina mon offre en repoussant mon bras :

« Désolée, dans le métro je peux pas me concentrer sur des trucs, ça me donne la nausée. »

 

Et ben, super cette gonzesse.

 

J’étais bien coincé d’ailleurs car j’avais également pris un petit tétris[33] de poche histoire de tuer le temps, mais ce n’était pas très courtois de jouer alors qu’elle m’accompagnait, et pas de plein gré d’ailleurs.

Je n’ai pas pu tenir malgré les circonstances et sur les dernières stations, quand elle tournait le regard, je faisais des petites batailles de Pokemon en douce.

 

Terminus.

La cité de la Courneuve, c’est pas l’extase niveau accueil, mais j’avais mes entrées.

 

Vraisemblablement, c’était un safari exotique pour ma partenaire qui ne me quittait pas d’une semelle et qui scrutait anxieusement les tours blanchâtres qui se dressaient sur des espaces mornes.

Je lui taxais une seconde son portable qu’elle me donna avec un regard dur. Je composais le numéro – facile à retenir, puisqu’il finissait comme celui de l’agence de voyages de Gabriel Knight[34], et déclarais avec enthousiasme :

- « Moussa mon frère !

-  Yo, Joe ![35] 

- Dis moi, je suis juste en bas de chez toi, là…je peux passer ?

- Hey bien sûr mon pote.

- Ok, mets un T-shirt, j’ai un invité avec moi. »

 

Il grogna avant de raccrocher.

L’entrée de sa tour était sale comme une rue abandonnée, mais le hall et les couloirs, dallés de noir et d’orange, moins repoussants et sujets, apparemment, d’un nettoyage régulier. L’ascenseur nous déposa au dixième étage en grinçant. On avait dérivé l’électricité depuis le bouton d’attente de l’ascenseur sur un circuit qui le dispatchait à tous les apparts de l’étage.

 

Un grand autocollant A4 représentant Kenshin[36] protégeant Kaoru[37] était plaqué sur sa porte.

Il avait ouvert avant même que je puisse toquer.

Moussa, mon pote, était un petit black embrouilleur de première, un sacré malin en fait. Un petit malin qui d’ailleurs portait en cet instant un T-shirt de Yuyu Hakusho[38] signé par Togashi[39] lui même.

 

Je lui tapais dans la main et frappait mon cœur du poing :

- « Oua le T-shirt ! Je croyais que tu l’avais accroché au mur !

- Il était au mur il y a deux minutes. Tout le reste est dans la machine à laver.

- N’y est pas encore, je le crains », commentais je en reniflant l’odeur de renard des lieux.

 

Ayant agréé au protocole, je me dirigeais vers le frigo pour regarder quelles boissons je pourrais prendre. Pfff, que des jus de fruits de chez Tang Frères. Soupesant une boite de jus de goyave et une autre de jus de litchi, je surveillais l’approche de Moussa sur Patricia.

 

- « C’est quoi cette odeur de rat crevé ?  s’exclama-t-elle en ignorant la main tendue de Moussa.

- Hey, tu te moques, tu te barres ! » lui répliqua-t-il

 

Je lançais le jus de litchi à Patricia qui manqua de le rattraper et le saisit au sol en le tenant du bout des doigts à la dégouttée.

 

-« Qu’est ce que c’est que ce truc, c’est écrit en chinois ?!

- Hey, Joe »,fit-il en la poussant d’un coude complice, «  j’espère que t’es pas encore venu pour du Hentai[40], ca fait un moment que j’en fais plus. »

Il conclut sa pique avec un clin d’œil à Patricia qui le foudroya du regard :

« Ca veut dire quoi Hentai ? »

 

Moussa vivait dans un deux pièces assez grand, mais inconfortablement mal rangé. Au milieu, un grand canapé tout mou recouvert de toile bleue. Et tout autour, des colonnes de cd-rom, des piles d’enveloppes et de colis, et au fond, sur un atelier, deux ordinateurs équipés de cinq graveurs chacun tournant à plein régime.

En m’effondrant sur le canapé, j’ouvrais la canette dans un bruit sec :

-« On fait plus dans les magnétoscopes mister Moussa ?

- J’ai jamais été dans les magnétoscopes.

- C’est quoi cette histoire de magnétoscopes ? demanda Patricia en reniflant la canette aux litchis.

- Dis moi, ta petite amie, elle sait faire autre chose que poser des questions ?

- On sort pas ensemble. »

Ce qui parut le réjouir, mais vis-à-vis de moi ou de lui, je ne savais pas. Il la toisa de haut en bas comme s’il ne l’avait pas regardée avant, et croisa les bras :

-« Je suis dans le DivX[41] maintenant. Et », ajouta-t-il sur le ton de la confidence, «  je suis pratiquement le seul à faire de l’anime à un niveau quasi-industriel.

- C’est quoi le Divixe ? demanda Patricia.

- Ils ont pas l’ADSL en province, expliquais je pour sauver l’honneur de Patricia.

- Ah les provinciaux.

- Hé, je suis une parisienne, moi ! Je comprends rien à ce que vous dites ! »

 

Moussa éclata de rire et retourna dans sa cuisine-salle de bain. Il cassa une dizaine d’œufs de caille dans une poêle et les assaisonna jusqu’à ce qu’une odeur agréable qui taquinait nos estomacs emplisse les deux pièces. Il m’expliquait que Kenshin marchait à plein en ce moment, mais qu’un nouveau truc appelé « Noir » allait bientôt être doublé par des fans et promettait de casser la baraque.

Il remplit trois grands bols humides de vaisselle récente des œufs et d’une louchée de riz chaud tiré d’un autocuiseur, les piqua de baguettes et arrosa de sauce de soja, et nous les fourra dans les mains avant de s’asseoir sur une table.

-« C’est super bon, Moussa, t’es un chic type.

- Ah, ça me fait plaisir, dit il en se tapant sur le cœur. Ca vous plaît mademoiselle ?

- T’as pas une fourchette ? geignit Patricia.

- Elle est lourde, cette meuf. Elle fait partie de ta famille ? Elle s’appelle comment ?

- Je te dis mon nom si tu me donnes une fourchette. »

 

Il tira une grosse cuillère d’un tiroir et lui donna. Et ils se présentèrent aimablement. Moussa expliqua brièvement son business à l’aide de raccourcis rapides et elle comprit rapidement.

-« Lui explique pas tout, c’est une femme fourbe. Elle va piquer ton idée et faire mieux que toi.

- Une femme fourbe, répéta-t-il en riant.

- Je ne suis fourbe qu’avec ceux qui le méritent, expliqua-t-elle en hochant énergiquement la tête. T’as pas de l’eau ?

- Prends toi un verre et sers toi, Mégumi[42]. »

 

Et il me fit un autre clin d’œil. Je sentis que ma jauge de courage avait atteint son max et je le coupais brusquement alors qu’il me parlait des Mp3 de Siam Shade[43] qu’il venait de récupérer. J’avais une voix grave, calme, posée, inhabituelle, qui me surprenait moi-même :

-« Je suis venu te demander un service.

- Je m’en doute, vieux. Pourquoi je t’ai fait à manger d’après toi ? Pour pouvoir te dire non plus facilement ! » et de rire encore.

 

« Je vais m’inscrire à un tournoi de King of Fighters et j’ai besoin d’un mentor. J’ai pensé à toi. »

 

Il bascula sur la table, songeur.

-« Un tournoi national. Faudrait que tu sois meilleur que moi, mais tu l’as jamais été.

- Ca fait longtemps qu’on s’est pas affronté.

- C’est pour quand le tournoi ?

- Pour la Japan Expo, dans trois semaines. »

Il se releva d’un mouvement, puis se retournant, il se mit à rire, plié en deux. Quand il vit que j’étais très sérieux, et plutôt dépité par sa réaction, il rit encore de plus belle :

-« Tu devrais voir ta tête, mon pauvre vieux ! Mais t’as aucune chance, mon pote, ça va être un massacre à sens unique. Les inscriptions sont payantes, paie toi un ciné plutôt.

- Je suis extrêmement motivé.

- Ah, » s’exclamait-il, les bras au plafond. « Le Noritaka[44] du jeu vidéo ! Malheureusement. »

 

Patricia revint avec son verre d’eau. Elle expliqua qu’elle avait fait toute la vaisselle dans la foulée, qu’elle avait trouvée insupportablement sale.

-« Je m’entraînerai autant qu’il faudra. Je suivrai tout ce que tu me demanderas de faire, et j’apprendrai tout ce que tu voudras bien m’apprendre.

- Ca ne suffira pas.

- Je ne vois pas pourquoi ça ne suffirait pas, » expliqua Patricia en haussant les épaules. « S’il passe trois semaines à jouer tous les jours, il va le connaître, son jeu !

- A King Of Fighters ?  »

Sa voix baissa d’un ton, froide et passionnée :

« Les joueurs de King of Fighters ne sont pas des joueurs ordinaires. Ils considèrent ce jeu comme un vrai sport. Les pro de haut niveau, même en France, jouent deux à trois heures par jour, et en pré championnat comme en ce moment, entre cinq et neuf heures par jour. Tu le sais, Joe, alors pourquoi tu viens me le demander quand même ? »

 

«  Parce que les défis me plaisent. »

 

Il sembla séduit par cette phrase. Je pense qu’en tant que grand joueur lui aussi, l’idée de s’attaquer à un tel défi et de se faire un nom en tant que mentor le chatouillait. Je décidais de frapper fort sur le coin déjà enfoncé :

- « Si tu m’aides, Patricia te présente ses copines.

- C’est très tentant, fit il en caressant son menton imberbe, mais ce n’est pas pour cela que j’accepterai ou que je n’accepterai pas de te former. Néanmoins, Patricia peut toujours indépendamment de cela me présenter ses copines. » et il sanctionna sa phrase par un petit clin d’œil et un sourire de complicité élégante.

 

Il se leva d’un bond.

« Montre moi ton niveau. »

Il alluma la télé, brancha la Néo Géo avec la cartouche KOF98. Il approuva d’un hochement de tête quand je sortis ma manette. Bon signe. Je tremblais un peu devant l’enjeu de la partie.

Les parties de ce type se jouent souvent à la psychologie. Il suffit de se croire moins fort que l’autre pour perdre, tout simplement, souvent par manque d’audace, car les jeux bonifient rarement la prudence. La seule façon de se débarrasser de cette peur, c’est soit de s’en balancer complètement, mais en l’occurrence je ne pouvais pas, soit de rentrer par auto-suggestion dans un état hypnotique, mais je n’avais pas le temps non plus.

On s’assied en tailleur devant son petit poste de télévision.

Je choisi des valeurs sûres : Kyo, Clark et Iori. De son coté, il se fit une équipe de blacks avec Heavy D !, Lucky Glauber et Choi. Le combat se déroula rapidement, en quatre rounds qui entraînèrent ma défaite. Il tourna un regard triste vers moi :

-« C’est pas gagné du tout, du tout, du tout. Et elle ?

- Elle est le financier de notre équipe.

- Ah. C’est quoi le budget. »

Il semblait comme…vidé de toute force, accablé.

- « Sept cent francs.

- Hé bé. On va aller loin avec ce pactole.

- Alors tu acceptes ? » demanda Patricia.

 

Moussa sembla me jauger du regard.
Je pense qu’il y avait d’autres facteurs dans sa décision que notre complicité de toujours. Il avait vu ma volonté à l’épreuve, il avait vu ce que je mettais de moi-même quand je voulais vraiment finir des jeux mortels comme Robinson’s Requiem[45], Nethack[46] ou X-Wing[47].

J’espérais qu’il voyait en moi la détermination que j’avais en affrontant ces jeux, je l’espérais pour qu’il vienne dans cette aventure, mais aussi parce que je voulais que cette détermination existât réellement. Il savait que j’aimais jouer pour jouer, pas forcément pour gagner, ce qui expliquait mon niveau relatif actuel à King Of Fighters.

 

Il ne pouvait ignorer mon potentiel.

 

« Je ne te ferais pas de cadeau, et au moindre écart, je laisse tout tomber. »

Comment il se la jouait ! Mais au fond, tous les professionnels se la jouent plus ou moins. Il se leva et ouvrit la porte.

« Je me pointe demain chez toi à dix heures du mat. Jusqu’au jour du tournoi, ce sera entraînement intensif non-stop. La gonzesse, tu te ramènes aussi. Autre chose : je ne forme que des vainqueurs. Tu suis ce que je dis, tu donnes ton max et tu gagneras. Tu faiblis, une seule fois, je te le répète : je te laisse tomber. »

 

Il était d’un sérieux à faire froid dans le dos. Je repliais ma manette dans mon sac, et lui tapais dans la main avant de partir.

« Ne me déçois pas, Joe. Tu sais ce qu’il te reste à faire. »

 

Nous prîmes rapidement congé et une fois dehors, je félicitais Patricia pour sa récente promotion en tant que financière de l’équipe. Elle marmonna d’un air mécontent que cette histoire prenait de plus grandes proportions qu’elle ne le pensait initialement, mais je songeais que même si je la traînais partout par la chaîne de sa culpabilité, elle devait quand même être intriguée et intéressée de découvrir ce monde atypique où se mêlent jeux et animes, mental et enjeux.

 

Elle me raccompagna chez moi sans dire un mot alors qu’une nuit chaude tombait, et nous nous quittâmes sur un simple geste de la main.

 

 

Level 4 !!
Ready ? Go !

 

 

Je m’éveillais en sursaut.

Comme il m’était souvent arrivé, je m’étais assoupi sur mon bureau, devant l’écran encore allumé.

On tambourinait sur ma porte façon descente de police. Un coup d’œil sur l’horloge Windows m’indiqua dix heures deux.

 

Je titubais sous l’ivresse et l’engourdissement du sommeil et ouvrais les loquets en butant dessus. Pour la première fois de ma vie, je voyais Moussa à l’heure, presque bien habillé avec un short long bordeaux et un T-shirt jaune vif lavé de la veille.

Je baladais mon regard ensommeillé et remarquais à ses cotés le discret sourire de Patricia, sobrement vêtue d’un jean et d’un vieux sweater.

 

« Z’êtes matinaux les mecs » articulais-je la bouche pâteuse.

 

Et je plissais les yeux en remarquant l’attitude louche de Patricia.

Elle me fixait avec un regard tendu comme si sa vie en dépendait, le cou tendu et les yeux ronds comme des soucoupes. Ses pommettes rosissaient.

Les sourcils alignés à l’horizontale, Moussa pointa mon bas ventre de son index.

Effectivement. J’étais à poil.

« Ah. J’ai pas trop l’habitude des visites. Chuis désolé. »

 

Je tentais de garder mon flegme et d’enterrer ma pudeur violée dans mon sommeil, et si je me retournais vers ma pile de sous-vêtements, c’était aussi pour cacher le rouge de la honte qui me recouvrait jusqu’au bout de mes oreilles.

 

« Faites comme chez vous, si vous avez pas encore pris le petit déjeuner, y a un demi-kebab qui reste sur le frigo. »

Moussa alla droit sur le frigo tandis que je cherchais un caleçon pas trop sale ; Patricia, elle, regardait décemment ailleurs.

 

Moussa stoppa net comme un chien d’arrêt.

-« C’est quoi sur le PC, là ?  demanda-t-il d’une voix sèche.

- Ah, je me faisais un petit Counter[48] pour me détendre. » lui avouais je sans me retourner.

 

Une seconde plus tard, la porte claquait.

Moussa était parti.

 

Me précipitant sur le palier, je le voyais s’enfuir à grandes foulées.

Tant pis pour le voisinage, je courrais le rejoindre dans le couloir, nu comme un ver.

« Mais qu’est ce qui te prend, Moussa, t’as un problème ? »

Il me répondit avec mépris, sans me regarder.

-« Non, j’ai compris que tu n’es pas prêt, c’est tout.

- Charrie pas, mec, je me suis entraîné toute la nuit !

- Tu parles ! Tu n’as pas du tout la carrure d’un vrai pro. Désolé, il faudra te trouver un autre maître ! »

 

Nous criions dans notre dispute, et les portes des voisins s’entrebâillaient timidement.

-« Mais Moussa, j’ai besoin de toi, mec ! Sans toi je pourrais rien faire !

- Non, c’est fini. Jamais j’aurais du venir dans votre combine toi et la fille ! Je ne suis plus avec toi sur le coup !

- Mais pas du tout, viens me tester ! Viens me tester ! »

J’entendis un raclement de gorge derrière moi. Moussa me regardait droit dans les yeux avec une moue de dégoût :

-« Je croyais que tu tiendrais parole. Tu as trahi ma confiance.

- Moussa, jamais je ne te trahirais. »

 

Quelqu’un me donna un coup de bâton dans le dos fort désagréable et je me retournai vivement. C’était Madame Michu la concierge, son balai à la main, rouge de colère.
Elle hurla en me vrillant les tympans :

« Monsieur, que vous passiez votre musique de sauvage et vos boums boums à des heures indues passe encore, que vous sombriez dans la déchéance avec vos partenaires de débauche, soit ! Mais que vous hurliez vos scènes de ménage nu dans mon couloir, ça ne passera pas ! Allez vous rhabiller tout de suite ou j’appelle la police ! »

Elle sanctionna sa plaidoirie par un violent coup de balai sur mon pied gauche qui m’arracha un hurlement de gonzesse, et Moussa en profita pour s’éloigner rapidement.

 

J’arrachais le balai de la vieille folle et rattrapant Moussa alors qu’il franchissait le hall d’entrée, je lui en abattis un grand coup sur l’épaule. Lui laissant juste le temps de se retourner, je lui plaquais avec détermination le manche sous le cou pour l’étrangler et je lui criais :

-« Maintenant soit tu viens tout de suite me tester, soit je te roue de coups jusqu’à ce que tu acceptes de me tester ! Mon vieux, je vais te coller un straight, et tu fermeras ta grande gueule !

- Tu gagnes du temps, t’es un nul, Billy Kane[49] de mes deux. »

Je pressais le manche sur sa trachée, il avait beau être black, je savais que le sang lui montait à la tête car il changeait de couleur.

-« Trois perfect[50] straight[51] avec n’importe qui, tafiole.

- Tout de suite. J’aimerais m’éloigner de toi le plus vite possible. »

 

Je courrais tout le chemin du retour, tirant Moussa qui boudait par le poignet. Tous mes voisins, pères de famille, jeunes étudiantes étrangères au pair, vieux retraités, femmes au foyer regardaient mon retour fracassant depuis leur palier.
J’aurais pu avoir honte, mais j’avais trop la rage de remettre Moussa à sa place, ce prétentieux. Un gars de mon âge que je n’avais jamais croisé me lança :

- « Alors les amoureux, ça se finit bien ?

- Fais pas le malin, t’es le prochain ! » lui hurlais je en guise de réponse. Et je devais avoir un visage ivre de colère, car il rentra rapidement dans son appart sans demander son reste.

Je jetais le balai aux pieds de l’acariâtre mère Michu :

« Reprends ton balai la vieille et m’emmerde plus. »

J’étais odieux et furieux, honteux et terrorisé. L’immeuble me haïrait et me mépriserait.

Mais chaque problème en son temps.

 

Je rentrais dans ma piaule comme une tornade, surprenant Patricia à inspecter avec curiosité dans tous les coins, mais ça n’avait pas d’importance. En un coup de pied, j’allumai la télé, et forçai Moussa à s’asseoir devant la console, puis lui jetai la manette.

 

« A toi de me montrer ce que tu vaux ! »

 

Il devait être un peu déboussolé, parce qu’il a pris ses persos un peu au hasard.

Je lui ai collé direct un perfect avec Iori, en le bourrinant de coups spéciaux, hé hé.

 

Il me l’a pas mal entamé lors du deuxième round, car la concentration revenait à mon adversaire, et je l’ai perdu au troisième, mais j’ai quand même fini le match avec Kyo.

Je n’avais pas fait le straight promis, mais pour la première fois, je l’avais battu à un jeu où il passait pour un maître, et ce, sans le moindre handicap.

 

Et je savais qu’il n’avait rien tenté pour me faire un cadeau.

 

Le cœur au bord de l’explosion, tremblant, je m’effondrai sur le dos, les bras en croix. Il y eut un long silence brisé par la musique faiblarde de l’intro du jeu qui passait en boucle. Moussa restait immobile, face à l’écran.

Je savourais ma victoire avec un délicieux flegme. Retournant la tête, je voyais le monde à l’envers.

Tout semblait si étranger de ce point de vue. France Inter jouait le bal des oiseaux dans un coin de la pièce.

 

Patricia, loin de se douter de l’importance du match qui venait de se dérouler, avait pris une boite de CD et l’appuyait sur le mur :

- « Tu fais quoi ? » je demandais.

- Joel c’est vraiment crade chez toi. Tes murs collent. »

Et elle illustra son propos en lâchant la boite qui resta effectivement collée.

 

Des rayons de soleils passèrent entre les lattes de mes persiennes et vinrent strier le sol.

« Déconne pas, c’est mes sauvegardes de Daggerfall[52]. »

 

Toujours immobile, Moussa déclara soudainement :

- « Ton niveau a carrément changé…hier tu jouais pas au max, dis moi.

- Je me suis entraîné toute la nuit, banane.

- T’apprends vite alors. Mais je ne te crois pas. Je t’avais toujours battu auparavant.

- Parce que c’était moins marrant de gagner que d’utiliser tous les coups des personnages. Tu m’as forcé à gagner, sinon c’était la te-hon. Alors master Moussa ? »

Il ne se retourna même pas, jouant avec sa manette luisante d’usure devant la neige de l’écran vide. Je le piquais en lui lançant des « Master Moussa » sympathiques pour qu’il craque. Il me coupa avec agacement :

-« Je vais te laisser une ultime chance. Ultime, j’ai dit. Mais tu ne devras plus toucher à un seul autre jeu que KOF jusqu’au tournoi.

- Oui bouana. Moi y en a pas toucher aux autres jeux bouana.

- Va te fringuer, t’es vraiment moche à oual-p. »

 

Ah ouais. J’avais complètement oublié.

 

Patricia me lança un vieux T-shirt qui dépassait de dessous mon canapé-lit qui me permit de dissimuler mon intimité le temps de trouver des vêtements potables.

 

Je m’habillais alors que Moussa expliquait en soupirant les bases du jeu King of Fighters à Patricia. C’était une fille enjouée mais réservée, sensible, très sensible probablement. Elle nous laisserait dès qu’elle aurait des sujets plus intéressants selon son goût ou celui que lui imposeraient ses relations, car les humains fonctionnent ainsi, malheureusement, et cela me donnait un petit pincement au cœur.

 

Son…ingénuité me plaisait. J’imaginais que son cadre de vie devait être minutieux, propre et prévisible.

 

Je n’allais pas tarder, en fait, à le découvrir.

 

Level 5 !!
Prepare for combat !!

 

Je revins de la salle de bain après les brèves ablutions qui concluaient mon habillage et surpris Moussa en train d’embarquer ma console, mes jeux et ma manette dans son sac.

- « Tu fais quoi là ?

- Tu peux pas t’entraîner ici. Trop de choses peuvent te déconcentrer, trop de tentations.

- Et tu m’emmènes où ?

- J’y réfléchis. »

 

Nous quittâmes l’appartement sur la pointe des pieds pour ne pas se faire griller par les voisins suite à notre cinéma. Une fois dans la rue, Moussa alpaga Patricia :

-« Y a une télé et un canapé chez toi ?

- Ouh, vous n’irez pas chez moi, répondit-elle fermement.

- Quelle déception », soupira-t-il en claquant la langue.

 

Je la comprenais un peu. Si elle ramenait deux zarbis comme Moussa et moi et qu’il y ait un bronx comme on venait de le mettre dans notre immeuble, ses vieux choperaient rapidement une jaunisse.

 

D’autant plus que les adultes sont rarement bienveillants vis-à-vis des joueurs de jeux vidéos. Ils voient une perte de temps de la jeunesse, mais en fait craignent la subversion d’un média qu’ils ne peuvent pas contrôler.

 

Moussa joua sur la culpabilité, ce qui était assez malin de sa part car c’est grâce à cela que j’avais tantôt réussi à la faire craquer. Il déclara avec des trémolos dans la voix que notre équipe était ainsi fondamentalement fragilisée, et que tous les efforts que nous ferions seraient anéantis par son égoïsme.

-« On a juste besoin de ta télé ! On touchera pas à tes poupées !

- D’accord, t’as gagné…espèce…de…lourd ! Mais vous restez tranquilles, et vous ficherez le camp quand je vous le dirai ! »

 

Elle habitait à dix minutes à pied.

Pendant ce temps, Moussa m’avait donné des fiches récapitulant tous les coups spéciaux de chaque personnage que je devais apprendre le long du trajet.

« Fais pas le malin, je t’interroge ce soir et si tu fais une seule faute, fin de l’entraînement. » avait il ordonné avec rigueur.

Au moins, il ne prenait pas son rôle à la légère.

 

Patricia se ferma comme une huître, manifestement contrariée, et nous mena lentement en poussant force soupirs, les poings serrés. Il devenait pressant pour elle d’en finir avec cette histoire. Elle croyait s’être acquitté d’une dette de deux mille francs en me refourgant un flyer, et la voilà traînant ici et là les deux plus gros boulets de Paris.

L’appart des vieux de Patricia était à un jet de pierre de la gare d’Austerlitz, au dos du Jardin des Plantes, dans un petit immeuble craquelé de lierre vivace.

Moussa exprima son admiration par un sifflement : quatre, cinq vastes pièces qui sentaient le propre, recouvertes d’un parquet ciré, des tableaux éclairés par des petites lampes, des bibliothèques vitrées emplies d’ouvrages à l’aspect précieux.

Mû par l’habitude, ses pas le conduirent rapidement dans la cuisine carrelée de blanc dont les ustensiles chromés pendaient au dessus de plaques à induction.

Patricia tentait de garder un œil sur lui et un œil sur moi, tendue, alors que nous prenions possession des lieux : en un pas j’étais dans le salon, où un grand canapé de tissu vert faisait face à une large baie vitrée donnant sur la galerie anthropologique du Jardin des Plantes, mais surtout face à une télévision 16/9ème écran plat, encore plus grande que les modèles de démonstration à la Fnac.

-« Ouah la télé ! exprimais je avec la sincérité du cœur. Ouah ! T’as Game One[53] ?

- C’est quoi Game One ? »

 

Moussa revint de la cuisine avec une brique de lait qu’il était en train d’ouvrir.

-« Le frigo est vide, c’est une vraie déprime, je te raconte pas, Joe. J’ai juste trouvé du…Ouah la télé ! Elle est géniale cette télé ! T’as Game One ?

- Touche pas à mon lait ! ordonna-t-elle.

- Mais, je te bois pas tout, je te rassure. De toute façon je déteste le lait. »

Il en but quand même une gorgée à même la brique histoire de sceller l’appropriation des lieux, et le rendit à sa propriétaire qui le prit entre ses deux doigts avec une moue de dégoût.

Puis il claqua bruyamment des mains.

-« Bon, Joe, branche la console. Entraînement non stop jusqu’à ce que je te le dise. T’as droit à une pause de dix minutes toutes les heures, et de une heure toutes les cinq heures. Prends Chris, Iori, et un perso que tu changes à chaque partie. Essaye de finir le jeu avec tous les personnages. Et n’oublie pas l’interro des coups spéciaux de ce soir. Toi ! Tes vieux sont où ?

- En voyage, répondit elle sans envie.

- Ils reviennent quand ?

- Bientôt. »

 Elle avait les lèvres serrées et la voix emplie de ressentiment.

- « Allez, fais pas ta Mégumi.

- Vous n’allez pas squatter ici, ordonna-t-elle, à moitié suppliante.

- Moi, non, j’ai un business à assurer. Mais Joe s’entraînera ici.

- Mais…

- Juste pour l’entraînement. »

 

Il avait pris un ton apaisant et posé qui contrastait avec son look de racaille. Il avait également fait un petit sourire et son désormais fameux clin d’œil complice. Patricia plissait les yeux en le haïssant, en se haïssant de sa faiblesse, et ne répondit rien.

-« Allez, prends le fric, femme fourbe. On va faire les courses.

- Ramenez moi du coca. » demandais je.

 

J’étais déjà au dernier stage de ma première partie.

 

Je me glissais dans le jeu alors que la porte se refermait.

Pour s’approprier un jeu et le maîtriser, il faut en connaître les mécanismes, la philosophie, et enfin observer et comprendre le contexte de sa création.

 

Un peu d’explication à ce stade ne serait pas superflu, d’autant plus que Moussa devait expliquer en ce moment même ces mêmes éléments à Patricia. L’écoutait-elle ? J’en doute. Elle souffrait de son implication dans l’histoire. Elle cherchait des portes de sortie. Bref.

 

King Of Fighters est un jeu en deux dimensions qui oppose trois combattants choisis par chaque joueur (ou la machine, le cas échéant) à trois autres. Le premier joueur qui perd ses trois combattants a perdu la partie.

Les combattants sont des personnages avec des caractéristiques spéciales. L’un peut être plus corpulent, l’autre plus résistant, l’autre plus rapide, l’autre plus fort, etc…voire même tout simplement, plus marrant, plus mignon, plus sympa, plus sexy ou plus populaire.

Ces derniers critères, quoique mineurs, restent quand même importants pour le jeu de compétition car un personnage pas extraordinaire mais apprécié comme Mai, une jeune asiatique donc le kimono lâche révèle les formes rebondissantes de sa féminité, sont beaucoup joués, donc souvent bien maîtrisés.

A chacun des personnages est alloué un quota d’énergie qui diminue à chaque coup encaissé. Quand il n’y a plus d’énergie, le personnage est considéré K.O. et son adversaire acquiert un peu d’énergie (mais pas plus que son maximum) et l’on passe à un autre combattant.

 

Basiquement, il est possible de se déplacer de droite à gauche, de sauter et de s’accroupir, de donner un coup de poing faible mais rapide, ou fort mais lent, un coup de pied faible mais rapide, ou fort mais lent, coups que l’on peut bien évidemment donner en se déplaçant, en sautant ou en s’accroupissant, et que l’on peut donner dans des directions choisies.

 

A cette palette déjà riche de possibilités s’ajoutent des coups spéciaux, qui sont des combinaisons de mouvements qui déclenchent des types d’attaques spectaculaires et puissantes. On distingue grosso modo deux types de combattants parmi les dizaines proposées : ceux qui combattent à distance et les preneurs.

Les preneurs ont des coups spéciaux au corps à corps, tandis que les autres agissent à distance, en envoyant par exemple, des déflagrations d’énergie.

 

Tout comme les échecs, KOF devient pour celui qui le maîtrise bien et qui a franchi la barrière des réflexes, un jeu d’adaptation et d’abstraction. A tout instant, selon la configuration et le type de son joueur et de celui de l’adversaire, selon sa personnalité et sa technique, il faut choisir l’attaque ou la contre attaque la plus judicieuse parmi une immense gamme de possibilités.

 

Un sport, certes, mais un sport du mental, de ceux qui ne laissent pas de place à l’inattention : une partie de KOF dure en moyenne moins d’une minute, une minute qui décide de la victoire ou de l’échec de ceux qui se sont parfois entraînés pendant des années pour parvenir au titre suprême.

 

Absorbé dans l’étude des personnages, je ne les avais pas entendu rentrer.


La journée était passée comme dans un rêve, je prenais soudainement conscience de ma faim, de mes besoins naturels, je quittais cet univers d’abstraction pour retourner dans mes contraintes physiques et dans la faiblesse de mon corps.

La journée était passée et j’avais joué sans interruption.

Moussa me lança une canette de coca, hélas tiède, mais qui fut quand même la bienvenue.

« Je vois que ça avance, constata-t-il après quelques secondes d’observation. Bien. Tu feras d’énormes progrès si tu n’es pas distrait. En plus comme la télé est grande, tu peux te mettre loin, ça te fatiguera moins les yeux. »

Patricia avança en soufflant comme un phoque, exténuée, tirant un énorme paquet traînant sur le sol.

-« Tu pourrais m’aider espèce de macho ? cria-t-elle. C’est hyper lourd…

- Allez courage, Soujiro[54], la cuisine est plus très loin. »

Elle tira en grommelant des menaces l’énorme sac estampillé Tang Frères dans la cuisine. Je soupçonnais Moussa d’avoir tout transporté jusqu’au seuil mais de ne pas avoir voulu le faire devant moi.

 

Il alla la rejoindre dans la cuisine et je jetais un œil lors d’une pause pipi sur ses achats : des litres de sauce soja, des sacs de riz, des sacs de chips crevettes à faire frire, du soja frais, de la salade, des poissons séchés, des épices, des œufs, des haricots verts et des carottes, du riz, du riz, encore du riz, et des jus de fruits de toutes sortes.

Comme s’il était chez lui, il fouilla dans les placards et trouva le bon vieux wok acheté chez Habitat qui traîne intouché dans chaque famille de bourge, et jeta de l’eau, de l’huile, du sel, des épices et de la sauce soja sur un feu vif, et Patricia vint me rejoindre.

J’étais assis en tailleur devant la télé, adossé au canapé. Elle s’assit sur le sofa, les jambes serrées, mains sur ses genoux, et me murmura :

-« J’ai jamais vu autant de chinois de ma vie. C’est incroyable ! Les immeubles sont pareils, mais c’est pas des européens, c’est des chinois.

- Ils vendent des canettes de coca allemandes chez Tang Frères ? demandais je en remarquant le goût plus sucré que la normale.

- C’est du coca tombé d’un camion, qu’on a récupéré, déclara joyeusement Moussa depuis la cuisine.

- En fait, il l’a volé sur une caisse à la sortie du magasin, » chuchota Patricia avec mépris comme si j’avais besoin d’une précision.

 

On dégusta des légumes frits dans la sauce soja et du riz délicieux, un vrai régal qui fit oublier les petites contrariétés de la journée à Patricia, puis ce fut mon tour de passer à la casserole.

Moussa se montra particulièrement vicieux en me demandant les combinaisons spéciales de personnages peu utilisés, et mêmes les noms des combinaisons, mais j’avais bien appris la leçon et m’en tirais avec un sans faute.

Dehors, le jour fuyait et les réverbères s’allumaient lentement.

-« Félicitations, disciple, dit il en me donnant cérémonieusement une canette de coca. Je célèbre aujourd’hui officiellement ton intronisation dans la Voie de King of Fighters. Tu as atteint le rang de disciple-baka[55]. Persévère et progresse, tu es sur la bonne voie.

- Arigato[56], sempai[57]-baka. » fis en inclinant la tête en caricaturant les démonstrations de respect japonais.

Nous trinquâmes rapidement, puis Patricia se leva et entonna avec impatience en tapant des mains :

-« Bien les champions, ce fut un plaisir. Maintenant il est tard et…

- Effectivement, coupa Moussa avec respect et sur un ton qu’il forçait pédant. Mademoiselle, merci beaucoup pour votre hospitalité. Je dois m’en retourner à mes affaires. J’ai perdu une journée entière, et les clients n’attendent pas. Cependant, nous avons bien progressé. »

Un sourire de soulagement illumina le visage de Patricia. Moussa poursuivit :

-« Continue de t’entraîner, mais pas plus que ton esprit ne le pourra. Ca ne sert à rien de jouer en étant fatigué mentalement, car on apprend rien. Je te laisse mon sac qui contient quelques magazines avec des stratégies. Regarde bien les mentions sur les combos infinies, il faut que tu maîtrises toutes celles publiées dans la presse d’ici la fin de la semaine parfaitement. Lis attentivement avant de t’endormir. Tu verras que rapidement tu rêveras de KOF, et tu trouveras même des solutions. L’inconscient joue mieux quand la télé est éteinte. Patricia, tu veilleras à ce qu’il ne manque de rien. Il dormira sur le canapé.

- QUOI ? s’étrangla Patricia. Mais je croyais que…

- Nan, Patricia, je préconise que Joe dorme sur le canapé prés de la télé plutôt que dans un lit. C’est sa salle d’entraînement, il faut…il faut qu’il se l’approprie, tu vois ?

- Mais ce n’est pas du tout ça le problème ! piailla-t-elle en tapant du talon.

- De toute façon, je préfère les canapés, admis-je. J’ai pas l’habitude des lits. »

Je m’imaginais les lits de l’endroit, de toute façon, trop confortables pour mon dos habitué aux sièges en bois et aux mauvais clic-clac.

Evidemment, la pauvre Patricia ne se doutait pas que je squatterai chez elle, mais c’était malheureusement une nécessité. J’étais encore accro aux jeux, et chez moi je n’aurais pas tenu résisté aux musées des tentations qu’était devenue ma piaule.

Moussa partit en coup de vent, et Patricia passa un long moment à m’expliquer calmement que la situation ne pouvait plus durer.

Elle blablatait encore alors que je me réinstallais à la machine. Je me découvrais subitement fatigué. J’avais une grande endurance aux jeux, mais le calme du dîner avait trop rompu avec la tension et l’attention que j’investissais dans King Of Fighters. Patricia me regardait avec espoir éteindre la console, espérant que ses paroles m’avaient convaincu, mais déchanta alors que j’allais chercher les magazines :

-« Faut que j’étudie ces combos.

- Tu m’écoutes, oui ? Tu ne vas pas rester nuit et jour ici, quand même ?

- Si. J’obéis au coach. Je veux gagner.

- Mais ce n’était pas prévu, ça ! »

 

Je ne répondais rien.

« Mais quelle galère ! Mais quels boulets ! Mais pourquoi… »

Elle soupira de désespoir et prit une pause accablée. Elle était mignonne avec ses cheveux courts, sa petite tête et ses yeux allongés. Je lui dis gentiment :

« Tu ne veux pas aller au Japon ? »


Elle m’envoya un regard intrigué et joueur, jaugeant de ma sincérité. Et oui, elle était bien eue sur le coup et elle l’admettait avec élégance. Elle se leva en frissonnant des narines, partit quelque part une petite minute, et revint en déposant une couverture pliée en quatre sur le canapé. Elle déclara en minaudant :

- « Je croyais que tu voulais le Xbox.

- Oh, mon maître n’acceptera pas une médaille d’argent.

- Ha ! Et si tu gagnes, tu partiras au Japon avec lui, je ne suis pas une idiote.

- Il aura déjà la gloire d’avoir formé un champion national, et toi tu n’aurais rien. Ce ne serait pas très équitable, n’est ce pas ? »

 

Elle ne put s’empêcher de sourire encore, malgré de vaillants efforts. Je saisis la couverture, douce comme de l’alpaca, qui sentait délicieusement le propre.

 

« Tu penses que tu vas gagner ? »

J’étendais la couverture sur le sol, à coté de ma Néo Géo. 

« Je ferai tout pour. (je fis une pause, puis continuais : ) Toutefois, une Xbox avec un an de jeux…c’est intéressant… »

 

Je préférais la laisser douter de mes intentions, elle choisirait ce qui lui semblerait le plus rassurant.

Cet endroit était si calme, si apaisant. Le plancher sentait bon, était doux. La couverture était une vraie caresse.

-« Pourquoi tu t’installes par terre ? demanda-t-elle.

- Euh…je suis pas très propre, et je montrais mon vieux jean sale et mon t-shirt crasseux. Je veux pas dégueulasser ton beau canapé.

- Tu peux dormir déshabillé, je te préviendrai quand je rentrerai dans le salon. Je jouerais de la crécelle, style moyen âge. Oh, excuse moi, j’ai dit salon ? je voulais parler de la SALLE D’ENTRAINEMENT.

- Euh, c’est que dessous aussi c’est pas hyper propre non plus.

- Et bien, tu peux prendre une douche, si tes us et coutumes acceptent que tu en prennes une de temps en temps…au cas où, j’ai mis une serviette bleue. La bleue. La bleue, ok ? »

En fait, ça ne m’était pas venu à l’esprit. Un peu déboussolé, je prenais une longue douche qui me sembla délicieuse. Il n’était pas tard mais je recevais le contrecoup de la concentration que j’avais impliquée dans le jeu aujourd’hui et j’étais assommé. Quand je fermais les robinets, j’entendis Patricia crier depuis sa chambre « La bleue ! », ce qui me rappela de ne pas m’éponger avec mes vêtements comme je le faisais d’habitude histoire de les laver un peu, mais avec une vraie serviette.

Le grand luxe.

Sacrifier tout au jeu, c’est l’oubli de choses simples comme une serviette douce, qui coûte le prix d’une boite de Cd-rom ou quelques heures de connexion à l’Internet, ou d’une douche, qui vous prend le temps d’une partie de Puzzle Bobble[58] mais qui n’a rien de comparable.
Il devrait être interdit d’oublier ces joies simples.

Uniquement vêtu de la fameuse serviette bleue, je remerciais Patricia à travers sa porte fermée et lui souhaitais bonne nuit.


Le calme. Les odeurs de frais. La vie biologique qui coulait à nouveau dans mes veines. Mes muscles qui se décontractaient.

 

J’étais heureux d’une façon de l’être qu’il me semblait avoir oublié depuis longtemps et dont je ne me souvenais pas le nom.

 

 

Level 6 !!
Entering the Fortress !!

 

Le jour qui suivit fut caractéristique de ce qu’allait devenir mon quotidien sous l’égide de mon nouveau maître.

Patricia me réveillait aux aurores, parfois à renforts de chaîne hi-fi mise à fond, et je grognais en lui suppliant des petites minutes de répit, mais elle était intraitable.

Souvent habillé simplement de la couverture, je prenais comme un zombie un petit déjeuner agréable avec elle, puis elle partait pour la fac alors que je m’échauffais sur quelques petites parties. Les premières parties de la journée ne sont jamais folichonnes, car le jeu met un petit moment à évaluer le niveau du joueur et augmenter la difficulté.

Au début, je sentais que je n’avais pas atteint les limites de difficulté du programme, car elles allaient croissant, m’offrant des affrontements à chaque fois plus problématiques. Une véritable leçon d’humilité, car le plus faible de mes futurs adversaires humains serait toujours plus fort que le programme.


Quand je ne jouais pas, je lisais attentivement les magazines, ou m’étirais en tournant en rond dans la pièce, moulinant des bras pour assouplir les muscles de mes épaules. Certains magazines étaient écrits en japonais, mais les symboles et les démonstrations étaient compréhensibles de tout un chacun.

Les combos (« combinaisons ») infinies étaient des séquences de coups et de coups spéciaux jouées en boucle, le plus souvent très difficiles à exécuter, qui une fois lancées n’autorisaient aucune réplique de la part de l’adversaire et l’amenaient donc impuissant vers sa propre défaite. Il fallait donc connaître ces combos par cœur de manière à tout faire pour ne pas se retrouver dans une configuration de jeu qui autorise l’une d’entre elles qu’un adversaire chevronné appliquera sans pitié contre vous.

« Et ce n’est pas tout, m’expliqua plus tard Moussa. Les combos infinies publiées ne représentent que les configurations évidentes et grossières, et tout le monde les connaît, c’est la base. Inévitablement, tous les pros que tu seras amené à rencontrer auront un éventail de combos infinies secrètes, que tu n’auras jamais rencontré auparavant.
Dès que tu auras acquis les bases, je t’apprendrais toutes celles que je connais – et crois moi, ça en fait beaucoup. L’idéal serait qu’au cours de ton entraînement tu développes une combo inédite, un atout caché qui te permettrait de renverser une situation critique ou de démoraliser un adversaire lors des ultimes matchs, mais je ne me fais aucune illusion. »

Patricia revenait plus tard dans la journée et débriefait rapidement sur les cours que j’aurais dû suivre, mais je ne faisais que semblant de l’écouter. Elle réchauffait les restes de la veille au micro ondes et me les servait en guise de déjeuner tardif, puis lisait dans sa chambre ou rejoignait des amies dehors. Mais elle prenait toujours garde d’être là quand Moussa se ramenait pour l’évaluation et les leçons du jour.

Mon mentor restait une ou deux heures pendant lesquelles il m’interrogeait sans répit sur mes connaissances et mes impressions, quitte à poser chaque jour les mêmes questions. Il m’accordait une partie ou deux, qu’il gagnait à chaque fois de peu même avec mon niveau croissant et commentait mes faiblesses avec professionnalisme et adaptait l’entraînement en conséquence. Il se montrait très sévère lorsque j’avais passé une journée sans me dépasser en niveau, en jouant sans me concentrer sur l’apprentissage, menaçait de tout laisser tomber dans des scandales et des minauderies de star de cinéma.

Il apportait toujours plus de documentation et des fiches écrites à la main, et chaque jour je devais en apprendre plus.
C’était exténuant.

Il nous préparait ensuite le repas du soir, plaisantait un peu, tentait d’initier Patricia à l’anime en lui proposant des divx ou des mangas sous le manteau, puis prenait rapidement congé.


Je jouais encore un peu mais en général me couchais de bonne heure, quitte à me réveiller dans la nuit pour m’entraîner encore, car l’autre folle me réveillait avant le lever du soleil – et il se levait encore tôt.
Avant de sombrer dans le sommeil, je lisais les magazines et me laissais calmement pénétrer des remarques pertinentes soumises par les joueurs pro.

 

Au fil des jours, j’acquérais le feeling du jeu, et je m’en dégoûtais.
Les deux premiers jours m’aidèrent à m’accoutumer à l’endurance et la rigueur mentale nécessaire à l’entraînement, mais le troisième jour, rien que la musique du jeu m’écoeurait et je jouais dans un silence total. J’en avais vraiment marre : mon niveau avançait à pas de fourmi et j’avais l’impression de tourner en rond sans progresser, les sprites[59] et les attitudes, sans cesse vus et revus, me donnaient la nausée.

Au quatrième jour, j’étais à deux doigts de tout laisser tomber. Mon corps suivait, mais mon esprit semblait élimé comme du vieux tissu. Quand je ne jouais pas, j’avais l’impression de jouer quand même.

« C’est normal ! ânonna sèchement Moussa. Ca arrive toujours au début. Dis toi que si tu te sens comme ça, c’est parce que tu ne considères pas KOF comme une suite de problèmes qu’il faut résoudre par l’abstraction mentale. Si tu te sens malade, c’est que tu ne progresses pas, il faut te remettre en question et évoluer pour atteindre les dernières limites du jeu.
Egalement, il est toujours possible d’arrêter l’entraînement, si tu ne t’en sens pas capable. »

 

Il m’avait tellement énervé avec son air de mépris, que je m’y suis remis de plus belle, et quelques jours après, je terminais le jeu quelque fût sa difficulté et mes handicaps, avec n’importe quel personnage, et bien souvent dans des straights meurtriers, maîtrisant toutes les combos infinies de la presse, et ignorées par le programme.
A ce rythme, en moins d’une semaine, j’avais atteint les limites de la machine.

« Pas trop tôt, commenta sévèrement un Moussa impossible à satisfaire. Maintenant, il va te falloir des adversaires humains, et des bons. Tu as une idée sur les persos que tu prendras pour jouer ? »

Si ça n’avait tenu qu’à mon feeling, j’aurais pris Sie Kensou parce qu’il était équilibré et sympa, Shermie pour son coté imprévisible que je manageais bien pour casser les attaques, et Clark parce qu’il faisait mal, en résumé, trois preneurs, mais non seulement c’était déséquilibré mais tous les pros utilisaient en général Iori et Chris, les deux persos les plus puissants du jeu, plus un troisième développé en tant que spécialité. Donc :

-« Iori, Chris et Shermie.

- Pfff, Shermie. Bon, il sera pas trop tard pour la changer au dernier moment. »

Il se campa devant moi en faisant le V de la victoire :

« Disciple-chan[60], nous passons à l’entraînement secret étape 2 ! A partir d’aujourd'hui, tu rencontreras des joueurs humains de plus en plus coriaces. Et puisque tu as choisi Shermie, Joe-baka, essaie de trouver des combos avec elle. »

 

Les séances avec Moussa duraient donc maintenant quatre ou cinq heures par jour, qui, sous l’œil réprobateur de Patricia, était accompagné la plupart du temps d’un invité.

Le gouffre entre la compétence d’une machine et d’un joueur est inimaginable.

Je le sentais maintenant que Moussa déployait sa force et ne jouait plus de parties pédagogiques.

On devinait la sensibilité du joueur au travers de ses tactiques : ils étaient mesquins, fourbes, élégants, techniques, furieux et emportés, plein d’amour et de sympathie pour leur personnage ou même leur adversaire.
Parfois même je sentais au creux de leurs hésitations des tourments humains, des passés sombres, des frustrations : le jeu et le duel devenaient des formidables fenêtres de l’âme qui laissaient tout apparaître au grand jour.
Que ces âmes soient sombres, naïves ou bonnes, une telle vérité, à la fois nue et cachée, me bouleversait à chaque fois que je la découvrais.

Je comprenais enfin le véritable plaisir d’être passé maître dans un art.

Mais j’avais encore du chemin à parcourir.

Lucas, un gros baraqué que m’amena Moussa la première fois, m’a mis une taulée qui m’a rapidement enlevé les illusions que je nourrissais sur mes compétences.


Mais le lendemain, je le battais.

Comme j’ai fini par battre Lim et Cao les deux vietnamiens, Sophie la chinoise, et Kamel le turc. Intéressés par mon entraînement – et par l’occasion d’apprendre sur le jeu, ils venaient tous les jours plus nombreux et quand ils commencèrent à célébrer leurs victoires contre moi, je compris que j’avais fait mon trou dans la galaxie KOF.

Gentiment, ils m’expliquèrent leurs propres techniques, leurs feelings par rapport au jeu. Ils admettaient que Chris et Iori étaient vraiment les plus balaises, mais finalement peu d’entre eux aimaient ces personnages surpuissants.

 

Evidemment, Patricia appréciait le débarquement tous les après midi de la clique d’étrangers dans l’appart de ses vieux avec autant de bonheur que si elle apprenait qu’elle avait le cancer.  Elle s’enfermait avec ressentiment dans sa chambre en attendant que tout le monde soit parti.
J’étais navré pour elle, mais, hé, elle avait une dette à règler.

Une autre semaine était passée, comme dans un rêve.
Personne sauf mon maître ne pouvait prétendre me vaincre.

Mon compteur indiquait 8000 parties depuis le début de mon entraînement.


Il était temps de passer à la vitesse supérieure.



!! Level 7 !!
 !! Boss de milieu de niveau !!

 

 

Je m’entraînais encore ce jour-là, mordillant un bâton de chupa chups.

Les rideaux tirés laissaient filtrer la lumière de l’après midi dans un seul rai large qui rebondissait sur un grand miroir posé au sol.
Patricia, allongée sur le canapé, lisait un Hunter X Hunter[61] dans le silence de la concentration. Son intérêt pour les mangas avait changé du tout au tout depuis que Moussa lui en avait donné un traduit en français et lui avait expliqué que le sens de lecture était inversé.

La chaîne hi-fi passait « elle préfère l’amour en mer ».

Moussa fut accueilli par Patricia, ravi de voir qu’elle s’intéressait aux œuvres de Togashi. Il allait dire quelque chose, mais s’interrompit dans l’action et demanda :

-« C’est quoi cette musique de daube ?

- Nostalgie passe une rétrospective Philippe Lavil, et…qu’est ce que tu fais ? je veux écouter !

- Hors de question. Les musiques de gonzesses, ça ramollit les guerriers. »

Et il éteint la chaîne hi-fi.

-« Remarque, « il tape sur des bambous » c’est une sorte de violence, plaisantais-je.

- Silence. Joe, fini de jouer contre la machine. A ce stade de l’entraînement, cela va corrompre tes capacités. »

Il prit la pose habituelle avec le V de son index et de son majeur et déclara :

-« Nous commençons dès aujourd’hui…l’entraînement secret phase 3 ![62]

- Pourquoi tu fais 2 avec tes doigts alors ?

- Allez debout tout le monde. On va en ville. Il est temps de trouver un adversaire à notre taille, un dojo à provoquer. »

Le contact avec le soleil et l’extérieur me fit plisser les yeux.
Deux semaines sans sortir, ça vous fait oublier à quoi ressemble une ville.
Je marchais comme un zombie, dodelinant de la tête, ce que Patricia me fit remarquer, et Moussa corrigea :

« Mais un bon zombie. Il n’est pas engourdi ni assommé par son travail mental, au contraire, il ne peut s’en détacher. Je te parie que dans sa tête, ça joue encore. Cela se voit à son regard. Il a le regard de la vie, pas de la mort. »

C’était vrai.
Je réfléchissais à mes techniques, trouvais des solutions à des configurations qui me venaient au hasard à l’esprit.

 

Il faisait un soleil à damner les plus studieux des étudiants, et de nombreux parisiens prenaient des bains de soleil dans les espaces verts ou sur les quais de la Seine. Nous passâmes devant Notre Dame resplendissante de blancheur, puis devant l’Hôtel de ville, puis enfin nous remontâmes la rue St Denis.

 

La salle de jeux d’arcades de la rue St Denis est le pire endroit de Paris pour jouer aux jeux vidéos…pour le plaisir de jouer. C’est un coupe-gorge, un nid à racailles qui n’ont qu’une seule valeur, les jeux, ou plutôt, la victoire, et même dans mon sourd désir de trouver des adversaires compétents, j’évitais de loin ce lieu dangereux dont on m’avait mis maintes fois en garde et lui préférais d’autres salles franchisées, et plus aseptisées.

 

Sacré baptême du feu pour ton poulain, Moussa.

Mais c’était un lieu mythique, où le respect s’obtenait par votre capacité à gagner, quel que fut le moyen.

 

Je ne dis rien en dépit de mes doutes, comme je vis Moussa et Patricia entrer dans cet endroit sans inquiétude.

Une grande salle juste en dessous de la zone réservée aux prostituées et aux clubs, ouverte sur trois murs, mais dont les baies vitrées étaient recouvertes de posters sales, jonchée de flyers de la galaxie hip-hop. Des types aux mines farouches venaient taper sur des personnages virtuels avant de tirer leur coup plus loin.
Une borne de trois mètres de large était consacrée à KOF, et une dizaine de zyvas encourageaient les combattants de façon participative et enthousiaste.

Patricia, la seule gonzesse des lieux, se faisait mater discrètement mais avec une insistance qui travaillait mon malaise, et cette gourde ne remarquait rien.

 

Je chuchotais à Moussa :

-« Ca craint ici, on devrait au moins la laisser dehors.

- A toi de la défendre si y a un problème. Tu vois les deux niakoués là bas ? »

 

Derrière l’attroupement autour de la borne KOF, un grand asiatique, plus vieux que moi se lissait le sourcil gauche derrière des lunettes à monture carrée noire, les bras croisés.
Sur lui, une chemise grise toute simple qui cachait un peu de ventre, et semblait plus propre que la moyenne des habitués.

J’acquiesçais.

« C’est Hué, le Champion de France de l’année dernière. » confia Moussa.


J’étouffais un juron entre mes dents.

Ainsi donc voilà l’homme à abattre.

Moussa ajouta, lourd de sous-entendu :

« C’est un Coréen. »

Je jurais une deuxième fois malgré moi, et expliquais à mi voix à Patricia les enjeux.

En Corée, le jeu, vidéo ou non, est roi. Des champions internationaux de jeux online, comme Grrr[63], sont accueillis comme des sommités et des stars. Les coréens s’impliquent dans le jeu comme on s’implique à construire des maisons ou faire avancer la science : cela relève de la passion…et du sacré, de cette essence même que certains nomment humanité.

En Corée, un foyer sur deux avait l’ADSL à l’époque. Les serveurs online coréens concurrençaient la totalité des serveurs internationaux en termes de fréquentation.


Mais ce n’était pas tout.
Le Coréen est fourbe en matière de jeux. Les faits avérés de triche ne se comptaient plus. Ils fabriquaient des souris avec cinq, voire dix boutons qui jouaient comme des touches de raccourcis pour être plus performants, mais également des cartes vidéos qui permettaient de voir au travers des murs virtuels des jeux de chasse à l’homme.

Jouer avec un Coréen, c’est un sport à part, à ses risques et périls.

Moussa réserva la partie suivante de KOF. Hué le remarqua et l’interpella. Sans aucun accent, sa voix était onctueuse et brûlait d’intelligence.

-« Alors, on s’est remis à l’entraînement, « Heavy D ! » ?

- Une petite partie de temps en temps, ça rappelle des bons souvenirs. »

Hué riait sans joie.

-« Je vois pas pourquoi tu aurais des bons souvenirs, tu n’as jamais... Ah je comprends. Tu formes ce type, c’est ça ?

- Non. »

Je me sentis très vexé par ce reniement.
Hum ! Il avait honte de moi, et bien le moment venu, je lui rendrai la monnaie de sa pièce. Derrière Hué, il y avait un autre petit Hué, avec des lunettes rondes, mais semblable sinon ce détail en tout point : pommettes hautes, chemise grise, et masque impassible.

« Tu perds une partie, j’arrête l’entraînement. » me chuchota mon maître.

Quand ce fut notre tour, Moussa envoya à la volée, levant les bras :

« Bon, du calme, du calme ! Mon pote Joe, ici même, cherche un adversaire à sa hauteur à KOF, et il m’a dit hier que comme il pensait que vous étiez tous des grosses fiottes, il est prêt à vous payer une partie à chacun d’entre vous et à vous niquer votre race. Tous autant que vous êtes et un par un. »


Je le regardais avec des yeux stupéfaits, paralysé, tandis que l’assemblée braquait son attention sur moi.


« Il paie la partie à qui le voudra, mais si vous perdez, vous le remboursez. Et vous savez quoi ? (il saisit Patricia par les épaules) Si vous gagnez, il vous prête sa copine cette nuit ! Mais juste pour la nuit, hein ! »

Ce fut à Patricia de le regarder Moussa avec des yeux stupéfaits alors que les joueurs présents réagissaient en tapant du pied et des mains et en sifflant, mais elle, elle n’était pas du tout paralysée par contre, car elle tourne les talons, mais avant même qu’elle ne puisse faire un pas pour s’enfuir, Moussa l’attrape et la maintient fermement.

« Du calme. »

Il chuchota autre chose à son oreille qui eut raison de sa détermination à s’enfuir, mais son regard chargé de rage me semblait tel qu’il me semblait pouvoir faire brûler des maisons à distance.


En une seconde, ils se battaient tous pour être mes adversaires.
Un grand black prit le siège du joueur deux et sélectionna Chris, Ralf et Clark.


Putain qu’il était bon ce type, j’avais une pression d’enfer et je sentais mon cœur craquer. Je l’ai gagné en jouant mesquin comme je n’aime pas, en l’acculant dans un coin et en le bourrant de petits coups de poings.

 

Sans transition aucune, un gros chinois le poussa et prit sa place, inséra une pièce de dix francs et sélectionna Athéna, Mai, et Mature. Je n’avais même pas eu le temps de souffler et mes mains tremblaient. Je sentais mon estomac se contracter et mes liquides gastriques brûler mon œsophage.

Il m’a fait un perfect sur le premier round et tournant la tête je voyais le visage tendu de Moussa et de Patricia.

 

« Concentre toi sur la partie, crétin ! » hurla mon maître.

 

J’ai perdu Iori au deuxième round, il ne me restait plus que Shermie. J’étais trop mal. J’ai cru que j’allais vomir. Je déteste la pression. La pression doit être interne au jeu. La pression, c’est les œillères du joueur, elle emprisonne l’expression.

 

Mais ce n’était plus du jeu.

 

C’était la victoire à n’importe quel prix.

 

Au début du troisième round, je passe en mode automatique et laisse faire mes doigts, mon esprit torturé, serré comme un torchon que l’on essore par la pression de l’enjeu ne pouvant élaborer une tactique cohérente. Je tente une combo infinie qui passe sans problème et je lui colle un perfect avec Shermie.

Quelle blague ! Il ne connaissait pas les combos infinies !

Ses deux autres persos sont partis en moins d’une minute.

 

Et un autre a pris sa place, je n’ai même pas vu son visage.

Et ainsi de suite. J’ai essuyé des attaques d’une agressivité inimaginable. Le désir de victoire à tout prix transpirait dans chacun des combats, et je ne devais ma résistance qu’à mes connaissances, qu’à mon entraînement stakhanoviste, qu’à ma volonté et ma peur de la défaite.

 

J’ai tenu bon. Qu’est ce que c’était dur. Mon corps semblait poussé à ses extrêmes limites. Je gagnais, mais jamais je n’ai eu la flamme de la victoire pour me taquiner le cœur.

Chaque victoire, amenait un adversaire plus fort, plus déterminé, plus empli de haine farouche qu’il me balançait au visage dans des élans troublants de violence.

Je n’ai perdu aucune partie, et il y en eut une vingtaine qui passèrent en un éclair, mais quand le dernier (le black du début, venu une troisième fois) s’est éclipsé en tapant violemment du poing sur la borne, je me suis effondré sur la console, haletant, le cœur à tout rompre, les jambes et les bras tremblants. Mes mains continuaient d’enserrer mécaniquement les commandes, jouant contre un adversaire qui n’existait que dans ma tête et dans mes craintes.

J’entendis Hué derrière qui affirma, apaisé :

-« Tu le formes pour le tournoi, il n’est pas mauvais. Très académique.

- Et oui mon pote. » admit Moussa sans pouvoir cacher un sourire.

Quand je gagne, il reconnaît le bébé. Salaud.
J’avais le cœur au bord des lèvres et des hoquets. Courbé, je gagnais les chiottes et vidais mon estomac, la vision troublée. J’en tremblais encore en m’essuyant.
J’en revins avec un sourire mauvais. Patricia avait la mine sombre, et Hué, toujours bras croisés :

« …meilleur que toi. Ah, le héros est de retour. Je te paie une partie ? »

Le petit Hué, d’à peu prés mon âge, s’avança :

-« Si tu le permets, j’aimerais…

- Non, frérot. »

Il forme son frère.

Cela me semblait évident. Moussa s’interposa :

-« Non, il a eu sa dose aujourd’hui.

- Laisse faire. » rétorquais-je en m’avançant.

J’avais envie de tout, sauf de jouer, mais on ne rencontre pas tous les jours un champion national.

Moussa me prit le poignet fermement :

-« J’ai dit : non.

- Et moi je te dis : oui. »

Je lui renvoyais par mon regard toutes les émotions accumulés dans ces dernières minutes et qu’il capitula avec une moue sévère.
Hué me demanda poliment de jouer pour gagner et me souhaita bonne chance. La classe.
Je sélectionnais ma combinaison classique, et il sélectionna Rugal, Heidern et Kim.


J’ai joué très agressivement, un peu contre ma nature, surtout, en fait, pour lui montrer ma valeur, alors que Moussa jurait dans mon dos. Je me déchaînais comme un diable, comme celui qui n’a plus rien à perdre, follement confiant dans mes capacités.
Moi qui, absorbé par ma concentration, jouait sans aucune réaction à l’habitude, je me surprenais à rire méchamment, à serrer les dents, à sentir mon cœur dans l’étau de la bataille.
A ma surprise, il me parut inférieur à ma propre compétence, mais ce que je prenais au début pour une faiblesse m’apparut soudainement d’une puissance terrifiante, un obstacle dont je ne voyais les dimensions : il maîtrisait de la partie, il avait saisi mon style et mon rythme, et m’observait méticuleusement en mettant tout en œuvre pour  faire durer notre échange le plus longtemps possible.
Chaque coup donné était le fruit d’un mûrissement sur plusieurs niveaux de considération, des niveaux que je ne saisis que bien plus tard encore.

Notre affrontement dura cinq rounds, et je gagnais d’une courte avancée, glacé par le niveau implacablement supérieur de mon adversaire.
Une victoire sans goût.

Je m’étais fait balader du début à la fin.


Hué s’inclina et me remercia pour la partie.

Moussa m’attrapa par le T-shirt et me traîna au dehors. Je croisais le regard du petit Hué alors que son frère lui parlait doucement, et compris son désir de jouer avec moi. Il y avait quelque chose entre nous, tout était fixé à l’avance.

Il me semblait évident que nous nous rencontrerions à nouveau.

Moussa me traînait par le bras, loin des autres qui nous attendaient (et qui attendaient Patricia) à l’extérieur, jusque devant le commissariat des Halles, et me gifla violemment. Juste ce qui manquait pour ajouter à mon malaise.

- « Espèce de connard ! Tu mériterais que je laisse tout tomber ! », criait Moussa.

- C’est toi le connard ! » et Patricia frappe de son petit poing l’épaule de Moussa, ce qui ne lui fit pas grand-chose, d’ailleurs. « Ca va, ouais, de le frapper !

- Il a raison, » admis-je. « J’ai été stupide. Mais…je voulais gagner contre lui.

- Et bien bravo, t’as gagné ! Tu pourras t’en vanter à tes gosses plus tard. »
Il harangua les passants : « Hé les mecs ! Ce type s’appelle Joel, il vient de battre le champion de France de King of Fighters ! Champion du Monde : Joel ! Demandez les autographes ! »
Ignoré comme on ignore les fous, il se retourna et ajouta avec une rancœur fiévreuse : « Mais le problème, c’est qu’on était pas au tournoi ! Et maintenant que Hué connaît tes meilleures techniques, on va faire quoi, hein, Champion ?

- Ferme la, espèce de maître à deux balles ! s’exclama Patricia. Tu as vu dans quel état il est ? Et d’abord t’es gonflé de leur dire que je passerai la nuit avec eux ! La peur que j’ai eu ! T’es vraiment un malade ! Je pourrais porter plainte !

- Et bien vas y connasse ! » hurlait encore Moussa en pointant le bâtiment juste à coté. « Le commissariat est juste là !

- Et bien j’y vais ! » lui cria-t-elle en retour, poings serrés, tournant les talons.

Je la retins doucement. J’avais versé quelques larmes pendant qu’ils s’engueulaient, j’espérais qu’elles ne se vissent plus.
Je lui dis gentiment :

-« Patricia, jamais nous ne t’aurions laissée avec ces types, défaite ou non. Je les ai vaincus à KOF, mais j’aurais vraiment utilisé mes poings s’il avait fallu. Et Moussa également.

- Peuh ! Des mots tout ça.

- En fait, je rajoutais en souriant, Moussa aurait certainement utilisé sa grande gueule. Mais on t’aurait défendu. »

Moussa ruminait et grondait.

« On continue l’entraînement, sensei[64] ? »

J’étais le plus bouleversé, mais je les avais apaisés tous les deux. Mon maître se retourna pour partir, mais me déclara toutefois :

« Je vais réfléchir. Je te réponds demain matin. Entre temps…dans le doute…continue de t’entraîner. Et bosse ton efficacité. L’élégance, c’est bon pour le jeu. La victoire…est notre seul objectif…enfin bref…A quoi bon tout cela.… »

Il disparut dans l’escalator s’engouffrant dans les Halles.

Je pleurais encore, de mon stress qui s’échappait encore, et de rage. Des larmes rondes perlaient sur mes joues blêmes, sans aucun sanglot.
Patricia me regardait avec pitié.

-« C’est pas tous les jours facile, hein, » lui dis-je.

- « C’est bientôt terminé, » me répondit-elle d’une voix chaude et rassurante, comme si j’étais un gamin qu’on opérait.

- « J’ai eu un peu peur pour toi quand même. »


Je m’effondrais en sanglots comme un gosse et elle me serra contre elle au cœur de la foule mouvante. Puis elle me raccompagna chez elle sans que nous nous disions autre chose.


Moussa était peut être un imbécile, il m’avait donné aujourd’hui la possibilité de ne plus me sentir seul. J’avais défendu Patricia avec mon talent, dans le sentiment fort que nous étions une équipe.

C’était donc cela, cette sensation qui me bouleversait : la conviction de ne plus être seul.

 


Well Done !!
Please wait while loading next stage…

 


Arrivé à la maison, enfin, la maison de Patricia, je m’installais machinalement devant la console.


Patricia me déclara :

-« Ce soir, je sors avec des amies. Désolée de te laisser…

- T’inquiètes, amuse toi bien. »

Ma voix n’était pas enjouée, mais cela tombait parfaitement. J’avais besoin d’un peu de méditation silencieuse.

« Y a des restes au frigo, tu peux te commander une pizza si tu veux, l’argent est sur la table de la cuisine. »
Je ne l’entendis pas partir. J’étais déjà absorbé dans mon perfectionnement. Les parties de cet après midi m’avaient étonnamment apporté. Je me sentais transcendé par l’agressivité que j’avais encaissé et libéré d’avoir repoussé mes limites.

Hélas je me lassais vite de celles de la machine, et dans la torpeur de l’obscurité et du silence cotonneux, je m’étendais sur le sol, les bras en croix, et rejouais mentalement avec moi-même.

Cet exercice ne permet pas s’améliorer, mais de conforter ses acquis, et, parfois, d’élaborer des solutions audacieuses.
Le meilleur moment pour cela est le crépuscule de la conscience, lorsque l’on sombre dans le sommeil et que l’inconscient prend le relais : tout semble possible, toutes les configurations sont présentées de très haut, comme depuis le sommet d’une montagne, et l’on peut assembler les éléments à sa guise et avec une facilité étonnante. Les barrières fantômes qui nous limitent dans nos choix et notre audace dans le monde de l’éveil, qui nous cantonnent à la médiocrité de nos existences, s’efface, avec le rêve.

 

Mais j’avais observé qu’également, l’inconscient travaille de jour, en tâche de fond, sans qu’on s’en aperçoive, et paf ! vous trouvez la solution à un problème que vous aviez mis de coté et auquel vous ne pensiez même plus.

Merveilles de l’esprit humain, sans cesse affamé de comprendre, car c’est sa raison d’être.

 

Une lumière vive et soudaine me tira de mes considérations (et d’un certain assoupissement).
Je me redressais sur un coude, protégeant mes yeux. Trois…non, quatre filles dans le salon, qui m’observaient avec méfiance.

« Patricia, y a un type sur le sol de ton salon, » commenta l’un d’entre elles.

Patricia me jeta un coup d’œil comme pour vérifier qu’elles parlaient bien de moi.

« Ouais c’est bon, vous inquiétez pas. »


Elles la taquinèrent quelques minutes sur mon identité, mais Patricia préféra jouer les mystérieuses, un choix judicieux autant pour elle que pour moi. Des présentations furent faites mais je n’écoutais pas les prénoms. Coup d’œil sur l’horloge : une heure du mat.


Enchaînant les bâillements, je m’attardais sur leur look. Une tout en noir, deux plutôt branchées, la troisième, décontractée à la Patricia. Pas l’air méchantes, mais questions gonzesses, je suis pas expert.

On s’installa autour de la table du séjour, et des verres furent distribués. Différents alcools étaient proposés, mais je ne demandais qu’un coca bien frais, que je savourais avec délice avant même que les autres ne furent servies. Ca papotait et je restais mentalement à l’écart, quand on m’apostropha :
« Bon Joël, tu fais quoi dans la vie ? »

J’avais le cerveau en rade, et je ne sus quoi trop répondre. A la base, si j’étais en fac, c’était surtout pour faire plaisir à mes vieux. Je répondis, quoique conscient que ce n’était pas à mon avantage :

« Je joue à des jeux vidéos. » - mais je l’avais dis très sérieusement.

- « Tu es testeur ? me demanda l’une.

- Non…comment dire…

- Il est joueur professionnel, expliqua Patricia. Il s’entraîne pour les compétitions nationales.

- Moui, plus ou moins.

- Tu joues à quels jeux ? » me demanda la gothique du groupe.

 Elle m’observait au travers du fond propre de son verre encore vide, déformant un œil surchargé de noir. Mon cœur bondit. Le fait qu’elle pose cette question montrait que, peut être, je rencontrais un autre pèlerin en cette assemblée païenne. 

-« Toi, tu joues à quoi ? rétorquais-je avec espoir.

- Je ne joue jamais.

- Ben alors, mes réponses te diraient rien.

- Tu écoutes quoi comme musique ?

- Je suis assez éclectique, répondis je dans un demi sourire. Blur, Jamiroquai, The Offspring, Bowie, Queen63, mais aussi du classique : Beethoven, Mozart, Bach…[65] »

Mon discours posé et énoncé du ton de l’intelligence les convaincu à moitié que je n’étais pas qu’une larve droguée de jeux vidéos au cerveau zingué. Je pense même que mon coté je-médite-dans-le-noir-sur-le-sol avait du interpeller la gothique.
Mais une autre d’entre-elles intervint. Elle se pencha sur moi laissant visible un décolleté plongeant où j’aurais tout pu voir, mais je prenais un certain plaisir à la fixer droit dans les yeux. Ses répliques étaient sèches et emplies de mépris :

-« Mais tu peux vivre de cette activité ? Je veux dire : on peut vivre et jouer ?

- Ce n’est pas fondamentalement antinomique, philosophais-je, pas tellement à l’aise.

- Mais est-ce que cela te rapporte de l’argent, concrètement ?

- Non. De toute façon, moi, l’argent...

- A quoi ça te sert de vouloir être premier à un jeu vidéo ?

- As-tu toi même l’ambition d’être la meilleure dans un domaine ? C’est un but qui élève l’esprit, qui forge la volonté et le mental, qui rend meilleur l’être.

- Mais ce ne sont que des jeux.

- La vie est un jeu dont les hommes tentent de décrypter les règles.

- Ha ! Ce sont des belles paroles, mais tous travaillent, produisent, créent, étudient pour faire avancer le monde, et toi tu ne fais que jouer !

- Et toi, qu’as-tu fait aujourd’hui pour faire avancer le monde ? »

Sur cette phrase dite d’un ton neutre (combien de fois auparavant avais-je été critiqué sur ma passion !) et à laquelle je montrais bien que je n’attendais aucune réponse, je me levais et expliquais poliment que je devais aller m’entraîner.

Je regagnais le salon et branchais la console, laissant mon inconscient jouer et ma conscience divaguer.

Les passions sont souvent mal admises car toujours jalousées.

 

Avec la diminution des éclats de voix, des tintements des verres, aux adieux chuchotés et aux froissements des vêtements, je devinais que la petite réunion touchait à sa fin ; que Patricia les raccompagnait à l’entrée. Que les lumières s’éteignaient. Que Patricia retournait dans sa chambre.


Soulagé, j’éteignis la console d’un geste lent et restais dans l’obscurité, observant la neige de l’immense écran télé, adossé au canapé, les genoux repliés sous le menton, songeur.
Je retirais mon T-shirt et mon Jean, lisais un peu les notes que j’avais prises pendant mon long entraînement.


Et si Moussa refusait de continuer l’entraînement ?


La vie continuerait, probablement. Mais je n’étais pas du genre à arrêter en milieu de partie.

Une insomnie provoquée par le stress m’abandonnait livré à mes pensées, le regard rivé sur un plafond strié de boiseries. Un coup d’œil à l’horloge : trois heures du mat. Le réveil allait être rude, demain. Juste le jour où j’aurais dû fayoter Moussa façon premier rang stylo quatre couleurs.


Et mon cœur bondit : Patricia se tenait dans le couloir et m’observait. Elle portait un pyjama bleu de jeune fille sage. Je songeais qu’il y a deux types de personnes sur la terre : ceux qui ont des pyjamas et les autres.

- « Alors on ne peut pas dormir ? demanda-t-elle.

- Je te retourne la question. »

Elle s’approcha ; l’éclairage de la télé traçait un grand trapèze blanc sur le sol. Et de s’accroupir pour se mettre à ma hauteur, et de déclarer :

-« Mes copines tout à l’heure, ne comprennent pas forcément…

- Bah, ça m’est égal. »

C’était vrai.

-« Moi non plus, tu sais.

- Oui, je sais. Les passions, il faut les vivre pour les comprendre. C’est le cancer du mental.

- Alors pourquoi tu crois que je vous aide, Moussa et toi ?

- Parce que tu es une chic fille.

- Tu veux que je te dise pourquoi je t’ai demandé deux mille francs ?

- Non. »

Je regardais mes mains.
Elles portaient les cales de la manipulation intensive de la manette, me paraissaient curieusement et soudainement plus grandes que la dernière fois que j’avais pris le temps de les observer.

 

Quelle avait été ma vie jusqu’à présent ?

Celle d’un être de l’abstrait, vivant par existences interposées, par réalités, chacune structurées de leurs règles propres.
Toutes ces réalités étaient les morceaux d’étoffe d’un patchwork de ma vérité.

 

J’avais tant joué, était-ce raisonnable ?

Les hommes vivent pour aimer, éprouver des sensations, concevoir des rêves, les réaliser…et je croyais avoir tout vécu au travers des jeux.

Les jeux n’étaient il pas des simulations de réalités ?

La réalité, la vraie, est pourtant logiquement préférable à ses reflets, ses déclinaisons, ses ersatz, ses avatars. A ses utopies mimétiques.

Les sensations étaient elles différentes ?

Ce n’étaient que des processus biologiques, des réactions chimiques dans mon cerveau. La puissance de mon imagination m’avait fait voir au travers de ces petits points et traits lumineux des mondes sublimes, des rencontres extraordinaires.

Etais-je anormal d’y accorder tant d’importance ?

Est-ce que cela changerait un jour ?

 

« Dis, tu vas jouer toute ta vie aux jeux vidéos comme ça, tu penses ? »

 

Est-ce que je racontais mes pensées sans m’en apercevoir ou pensait-elle la même chose ?

On m’avait donné des rêves et je les avais sublimés pour moi avec égoïsme. Les autres, ceux qui s’enlisaient dans le réel et fuyaient avec mépris mes évasions ludiques, me semblaient, eux, des déconnectés du vrai plaisir de rêver.

Je regrettais finalement de ne pas leur avoir fait comprendre, comme j’aimerais faire comprendre à Patricia, par exemple.

J’avais eu peur qu’ils m’affirment une fois de plus, tout haut, ce que je savais déjà, et qui m’avait tant fait souffrir sans que je l’admette : que je n’étais pas normal.

 

Mais aujourd’hui, après avoir tant joué, je comprenais, je touchais à des vérités que je pouvais expliquer. J’avais les mots, j’avais le bagage de mon expérience, je pouvais montrer du doigt ma passion et inviter les autres à me rejoindre.

Je pouvais aujourd’hui également mieux domestiquer mes pulsions de rêve, m’y plonger sans perdre, comme cela pourrait arriver à des esprits plus faibles, goût et repères de la réalité.


Ce n’était pas une drogue pour fuir la réalité, c’était un amour du rêve, voilà la vérité.

J’avais la conscience que là était ma voie.
D’une façon ou d’une autre, j’accompagnerais les autres vers ces rêves.

 

- « Un jour…je créerai des jeux, je pense.

- Beaucoup de gens rêvent de faire cela. C’est une grande industrie, paraît il. »

 

Faux, c’était un beau métier, un artisanat du cœur, où l’on façonne des rêves que l’on partage, et non l’industrie déliquescente et consanguine vers laquelle tendaient les productions actuelles.

Je serai le forgeron des rêves qu’il y a dans les jeux et mes outils seront les vérités de mon cœur.

 

Je me levais en silence. Je ne sais pas où j’allais mais je stoppais devant le grand miroir posé à même le parquet, contre un mur.
Je me trouvai étonnamment grand, élancé.


J’avais un souvenir de moi dans les années collège d’un petit gros aux cheveux courts. J’étais devenu…un grand, j’avais des épaules larges, et, des longues jambes poilues, des grandes mains et des grands pieds que je regardais avec un amusement enfantin. J’étais devenu mince. J’avais les cheveux dans tous les sens, longs d’une paume de main tels que ma maman me les coupait à chaque fois qu’elle me rendait visite. J’étais à peine glabre, comme un grand gamin.

Le temps passe si vite : cet inconnu, c’était moi.

 

Patricia s’avança près du miroir, partageant mon amusement.

« Mes copines t’ont trouvé - physiquement -  pas mal du tout, si tu veux savoir. »


Je nous voyais, elle et moi, dans le miroir. C’aurait fait un superbe écran de fin d’une belle aventure graphique. Je lui accordais un sourire chaleureux et avouais avec une timidité engourdie de réflexion :

« Tu es très mignonne également… Tu vois, c’est la force de l’habitude. Je ne l’avais pas vraiment remarqué jusqu’à ce que tu m’apparaisses dans le cadre d’un écran. Merci d’être dans l’histoire, Patricia. »

 

Il aurait pu se passer des choses, car elle me renvoyait mon sourire d’un air bête. Les sentiments troubles qui naissaient en moi étaient manifestement partagés.

Mais il y avait le tournoi.

Et Moussa ou pas, je le gagnerai, je le savais.


Et ma victoire serait le ticket de sortie vers le destin qui m’était apparu cette nuit décisive, comme la lumière d’un navire passant au lointain.

 

 

!! Level 8 !!
Don’t give up ! We are nearly there  !!

 

Et Moussa s’est pointé le lendemain, et nous avons continué l’entraînement. Il a fallu prendre à contre-pied certaines de nos tactiques pour effacer mon erreur, travailler encore et encore, s’empiffrer de bouffe chinoise, étudier les documentations…

 

Je gagnais systématiquement toutes les parties que je menais avec Moussa.

Jamais ne fut mentionné l’incident Hué, mais il changea la configuration de notre stratégie.

Mon coach déclara que nous passions à la phase 4 de son entraînement secret avec une circonspection anormale.

-« Tu joues bien, admit-il, ton style est équilibré et très mature. Aujourd’hui je te le dis avec sincérité : tu as tes chances. Tu sais ce qu’il se passe quand un maître sent que son disciple a atteint la fin de sa formation ?

- Il lui apprend l’arcane suprême[66], et ensuite le disciple tue le maître. » répondis je en reproduisant le geste de l’Ama no Kiwamehi.

- Fais le beau, ouais. Bon, il est temps que je te montre ma technique de succession. »

Patricia faisait la vaisselle dans la cuisine en écoutant Nostalgie.

Moussa extirpa un étui noir soigneusement rangé dans son sac. Il en sortit des lunettes de vue avec des verres épais comme des culs de bouteille. Il les chaussa et j’explosais de rire devant son air idiot, comme le fit Patricia quand elle vint voir la situation.

- « Riez, riez, dit Moussa avec flegme. Nous verrons bien qui rira le dernier. »

- Tu es réellement myope ? lui demandais je en riant.

- Oui. Et je peux vous dire que vous êtes tous les deux très laids. »

On s’installa aux commandes. A ma grande surprise, il demanda la sélection aléatoire des personnages et se retrouvait avec une équipe hétéroclite, et donc plutôt faiblarde.

Dès le début de la partie il adopta un style surprenant, un corps à corps distant, juste assez loin pour éviter les attaques d’un preneur et joua comme un vrai chacal, en me bastonnant de petits coups sans réfléchir, brisant mes tentatives de combos par des attaques simples et automatiques.

Avec Clark, il ne donnait que des coups de poing longs au bon moment, et je me suis tout pris.

-« Pourquoi as-tu perdu ? demanda-t-il après avec gravité, une fois le match terminé.
Cela faisait bien longtemps que je n’avais connu la défaite, et d’une moue dégoutée je lui fis part de mon analyse :
- « Parce que tu as joué comme un chacal.

- Explique moi. »

Je réfléchis encore une minute et concluais :

- Je pourrais dire que c’était mesquin, mais c’est pas tout à fait ça. Tu as joué comme presque comme quelqu’un qui n’avait jamais joué, et tu appuyais comme un malade sur toutes les touches, mais rien n’était vraiment au hasard. Certains mouvements étaient bien pensés.

- Et j’ai gagné malgré ta grande maîtrise des coups spéciaux, et ta connaissance des combos infinies.

- Oui. » admis-je.

Il soupira, se leva et expliqua :

« Ce jeu n’a pas été créé uniquement dans le but…sportif et équitable…que le plus entraîné, le plus savant…bref, le meilleur, gagne. C’est à la base un jeu d’arcade, n’importe qui rentrant dans un bar peut mettre un jeton et s’amuser sans pour autant être un champion. Je pourrais presque dire qu’un débutant devrait gagner, ou presque, c’est le but inavoué en fait. Tu vas bientôt rentrer dans une vraie compétition.
Dans les sphères les plus hautes de ces affrontements, c’est toujours de l’imprévisible et de l’excellence. Dans les niveaux intermédiaires, tu ne trouveras que des petits prétentieux qui se la jouent avec des coups spéciaux. Mais en début de compet’, tu as de grandes chances de tomber sur un minable qui pense gagner parce qu’il a cinq victoires à son actif contre l’intelligence de la machine, et qui combat en appuyant sur toutes les touches comme un forcené.
Et tu risques de perdre contre lui. Et c’est une chose à laquelle ni la machine, ni les champions ne peuvent te préparer. »

Je l’écoutais avec attention.

« C’est ce qu’il m’est arrivé il y a deux ans. Eliminé à la première partie, et à l’époque, il n’y avait pas de Hué, j’avais la victoire dans mes mains. Je me suis juré par la suite de ne plus participer aux tournois. Trop dégoûté. Je te souhaite que ça ne t’arrive pas. Donc, entraîne toi pour éviter que cela t’arrive. »

 

L’après midi, il invitais tous ses potes contre lesquels nous nous étions entraîné les semaines passées pour une petite fête.

Cao et Lim avaient apporté une fricassée vietnamienne, et Sophie avait ramené des guyza et des nems, et Kamel de la pita et du tadziki. Les autres s’étaient occupés des boissons, de la musique - pop japonaise, bien entendu - , et ils m’ont tous remercié pour les parties que j’avais joué contre eux, me rendant tout ému.

Un par un ils certifièrent avec une gravité peu commune pour des personnes de leur âge qu’ils avaient confiance en moi, et m’ont invité à gagner en leur nom.


Je me promis d’y arriver.

 

Le réveil du lendemain fut des plus brutal.
On tira ma couverture d’un geste brusque, ce qui me déséquilibra et me fit tomber sur le plancher dur. Bien qu’abasourdi, le sommeil s’envola de suite, et je m’accroupis sur le qui-vive. La lumière inondait l’appartement et m’aveuglait : le matin était bien avancé et j’avais du retard sur mon emploi du temps.


Mais ces considérations n’étaient qu’anecdotes en comparaison du spectacle singulier qui s’offrait alors : Moussa, devant moi, les bras croisés, avec des chaussures et un caleçon moulant noir de boxeur, les mains gantées de bandages, des lunettes noires et une coupe en brosse : Heavy D en personne !

Je le scrutais dans l’éblouissante lumière du jour sans comprendre.


« Tu es en retard ! » rugit-il.

C’était un cauchemar ou quoi ? Pourquoi ce costume débile ?

Je balbutiais :

-« Oui, je suis en retard, je sais. Mais l’autre m’a pas réveillé aujourd’hui, d’habitude…mais t’inquiètes, j’ai pris de l’avance hier, je vais te montrer les nouvelles combos que…

- Pas d’entraînement aujourd’hui.

- Ah…ah bon ? »

J’étais complètement perdu.
Moussa rangea ses lunettes dans sa poche comme le faisait le personnage dans lequel il était déguisé. Il pris ensuite une pose en roulant les épaules devant une caméra imaginaire et me pointa de l’index :

« Mets ta tenue de combat. C’est le grand jour. »

Mamamia ! Le tournoi était pour aujourd’hui ! Et je ne l’avais même pas vu venir ! Mais je n’étais pas encore…

-« …suis pas encore prêt pour…mais pourquoi vous me l’avez pas dit ?

- Pour que tu passes une journée à stresser inutilement et une nuit sans dormir au lieu de t’entraîner avec efforts ? Allez ! Debout ! »

Patricia me lança des vêtements qu’elle était allée piquer chez moi (elle avait ramené à son grand dégoût un carton de lessive sale pour pouvoir subvenir à mes besoins en vêtements propres, et m’avait pour l’occasion rapporté suffisamment de messages de la part de mes voisins depuis « l’incident couloir » pour m’ôter l’envie d’y retourner de sitôt), un treillis avec des poches latérales et une chemise à fleurs, tandis que Moussa passait « Eye of the Tiger » à donf sur la chaîne en tapant dans un punching ball invisible.

 

En quelques minutes, sans même que je m’en aperçoive, nous étions dans un métro. Mon cœur battait à tout rompre.
Moussa attirait l’attention, mais les adeptes du Cosplay[67] étaient légion et affluaient vers notre destination en nous envoyant des regards complices.

 

La vaste coupole du CNIT de la défense était toute entière occupée par l’événement. Je m’y sentais petit et seul, puissant que de mon expérience mais cependant face à un défi incroyable.

Moussa me fit part de son ultime recommandation :

« Le dés sont jetés, je ne peux plus rien faire pour toi maintenant, mais je crois avoir fait tout mon possible, et toi le tien, alors pas de regrets quoi qu’il arrive. La seule chose qui peut t’apporter la différence infime de force entre toi et ceux que tu rencontreras, c’est la certitude que tu vas gagner. Je n’ai pas dit que « tu peux gagner », j’ai dit que « tu vas gagner ». Je ne suis pas dans ton cerveau alors je ne peux pas te dire comment faire, mais tu dois le faire. N’oublie pas. Pas de place pour le doute dans la tête des vainqueurs. »

 

Nous payâmes nos entrées, l’inscription de Moussa au Cosplay et mon inscription aux éliminatoires du tournoi avec les derniers deniers de la caisse. Je remplissais attentivement ma fiche et y apposais les derniers éléments de mon identité quand tournant la tête : Hué à mes cotés,  un sourire façon asiatique dessiné sur le visage.

Dans lequel je ne pouvais lire clairement de la bienveillance ou de la haine.


Avec le respect qu’on les joueurs entre eux et leur volonté nécessaire de se détruire l’un l’autre, il devait probablement y avoir des deux.

 

 

!! Final Stage !!

 


L’expo devenait, d’année en année, de plus en plus populaire, élargissant son éventail d’options, de thèmes et d’évènements, se raffinant et se vulgarisant à la fois, grandissant en fréquentation de candides, de professionnels et de stars, jusqu’à envahir toute la superficie des différents niveaux offerts par le CNIT.

 

Nous vivions une époque étrange, songeais-je. Quand on ne pouvait pas vivre dans un niveau de vie porté par des standards médiatiques, on l’assumait en tentant de créer, avec fierté, son propre standard. Quand ces amateurs éclairés ou spécialistes autoproclamés voulaient concilier l’envie mystérieuse de retourner en enfance au travers des dessins animés et la maturité hélas que l’on doit assumer et afficher à partir d’une certain âge, et bien ce type de manifestation était organisé, avec des « experts », des « innovations », des « conférences », autant de mots ronflants qui donnaient aux adultes un alibi pour le plus simple des besoins, celui que je ne connaissais que trop bien : celui de rêver à nouveau.

 

J’appréciais les Cosplay, - que n’avais je rêvé moi aussi de participer un jour aux conventions Wing Commander[68] avec mon propre uniforme -, mais je regardais d’un œil plus froid les hordes de fans scandant ou chantant les génériques des séries les plus populaires, tel un observateur stoïque d’un monde à la fois lointain et familier.

 

Pour Patricia, c’était une fenêtre sur un monde qu’elle n’aurait certainement pas soupçonné.

La convention réunissait des dizaines de stand supportant des télévisions, des centaines de livres, de recueils, d’art books, de celluloïds, de cartes, de paravents, de posters représentant des icônes inconnues pour elle, mais vénérées par des dizaines de visiteurs anonymes qu’elle aurait pu croiser dans la rue tous les jours et qui dépensaient jusqu’à des milliers de francs pour certaines pièces.

 

Nous croisions des équipes de Kenshin-Saito-Sano-Shishio[69] aux couleurs criardes mais aux costumes étudiés, des Chevaliers de St Seiya[70], des robots de cartons ambulants, des Shinji[71] et des Rei71, des Lina Inverse[72], des Yumi69, des Lamu[73] aussi ! et des personnages vraiment fendards comme des Mokona[74] géants ou des Gaimon[75], mais d’autres grimés à contre-emploi, parfois par dérision, parfois malgré eux, comme un Zorro Roronoa[76] obèse ou un gros barbu habillé en Madoka[77] avec un joli tablier à poussins.

 

Les tentations étaient omniprésentes, mais Moussa ne dévia pas, serrant les poings, et nous escorta jusqu’à la petite salle réservée à la compétition. Seuls étaient admis les inscrits au tournoi (on pouvait suivre les compétitions par écran interposé au dehors de la salle) et avant de me quitter, Moussa m’encouragea une ultime fois d’un regard silencieux.

 

Trois télé plutôt vieillottes étaient disposées en triangle dans cette pièce aux murs blancs, faisant dos à une baie vitrée donnant sur la convention, deux étages plus bas. Une quarantaine de personnes, dos au mur, se dévisageaient en silence en visages tendus, parfois animé d’un bref coup d’œil sur les compétitions en cours : mes futurs adversaires.

Les frères Hué, bien sûr, mais aussi le gros chinois de la salle des Halles qui m’ignora avec mépris.

La moitié d’entre eux comportait des asiatiques, petits indonésiens ou grands chinois, d’autres étaient de placides, pâles et maigrichons reflets d’autres moi-mêmes quelques années plus tôt.
Il était aisé de voir leur niveau d’un coup d’œil : les nuls étaient tendus et nerveux, ceux qui se croyaient forts se la jouaient cool et se la pétaient en commentant les affrontements en cours, trahissant un stress maladif.
Les autres, ceux qu’il fallait prendre en considération, étaient déjà dans leurs exercices mentaux de concentration et d’anticipation des configurations, et, en me comptant, j’en dénombrais cinq ou six qui m’avaient l’air exceptionnels.

 

Les combats se succédèrent rapidement les uns aux autres, apportant une sanction définitive et irrévocable en moins d’une minute.

On m’appela et je dus faire trois parties contre un certain Farid, un type à l’air sympa qui m’avait serré la main avant la partie, et deux autres dont j’oubliais le nom dès le début de la partie. Des victoires faciles, que je m’efforçais de remporter sans déclencher toute ma puissance et mon arsenal de techniques, afin de garder des atouts pour les matchs à venir.

Je quittais la zone d’affrontement jusqu’au prochain rendez vous sous l’œil impassible des Hué, tandis que des petits branleurs faisaient des numéros pour célébrer leurs victoires, qui pourtant, à ce niveau, ne se teintaient d’aucune gloire.

 

Avec une certaine consternation, je remarquais que seule Patricia m’attendait à l’extérieur, les bras croisés.

-« C’est fini, dit-elle ? Ils ont annoncé ton nom, mais je ne savais pas quel écran c’était et en plus si tu étais player 1 ou 2. 

- T’inquiètes. »

Un petit clin d’œil, et je lui offrais mon bras pour visiter un peu la convention en attendant mon deuxième rendez vous, mais alors que j’expliquais les différentes séries proposées à la convention (Patricia ignorait tout, même la base de la base, ayant vécu à l’étranger lors de diffusions de séries comme les Mystérieuses cités d’or[78] !), Moussa nous intercepta avec trois packs Best Of chopés au McDo en face, et nous reconduisit devant les écrans.

« Mange, installe-toi, fit-il discrètement. Mate un peu comment ils jouent. Quand ce sera Hué, je pense que tu pourras reconnaître. Forcément dans ces types, y en aura un qui terminera avec toi tôt ou tard. Mais…(il regarda de tous cotés)…n’aie pas l’air de le faire, ok ? »

Et mâchant son burger il contempla songeur un épisode de RanMa ½[79] non sous-titré qui passait sur une télé non loin.
Des fans venaient de temps en temps lui demander de prendre une photo avec lui, et il s’exécutait en adoptant certaines poses spécifiques.

Alors que je mangeais mon Royal avec apathie, travaillant mentalement les configurations avec celles qui s’affichaient sur les écrans, un type me demanda si j’étais déjà passé à la convention de Toulon[80], ce qui m’arrivait souvent, car j’avais le physique typique de l’habitué de ces conventions.

 

Le gros chinois revint un quart d’heure avant ma deuxième convocation et me dit d’une traite de mots collés et prononcés le souffle court :

-« Bonne chance, mais je voulais te dire : la dernière fois qu’on s’est affronté, je m’entraînais, bien sûr. Je connaissais les combos infinies. Et aujourd’hui je pense pas que tu vas gagner contre moi.

- Nous, on est sûr de gagner contre toi, fit Moussa en se dressant, torse bombé. Pauvre tache.

- Et pourquoi Monsieur Heavy D ! ne s’est pas inscrit au tournoi, alors ? »

Cette dernière phrase avait été prononcée par l’ancien champion, qui s’était avancé en silence derrière moi.

- « Parce que je participe aussi, et qu’il ne veut pas de la médaille d’argent », expliquais je flegmatiquement.

Cela faisait une heure que je me répétais en silence « je suis le meilleur, je vais gagner, j’en suis persuadé » pour me mettre dans le bon état d’esprit. La phrase que je venais de prononcer n’était pas le fruit d’une réflexion stratégique de l’instant, mais une simple réaction spontanée. Hué sourit encore de son sourire de Khmer rouge, et déclara en opinant :

« Bon état d’esprit, mais est ce que cela suffira à combler le gouffre technique qui te sépare des grands joueurs ? »

Le gros chinois me regardant en plissant ses yeux bridés, et déjà repoussés vers le haut par des bonnes grosses joues de gourmand, ce qui faisait deux tous petits traits horizontaux comme dans les mangas, et tourna les talons, après avoir fait une grimace probablement menaçante mais qui me parut comme un éternuement silencieux.

 

Après un petit briefing, les organisateurs conduisirent tous les qualifiés aux seizièmes de finale dans la grande salle de projection de plusieurs centaines de places où les parties se diffusaient sur un écran de cinéma.
Je ne m’attendais pas du tout à cela, et la salle était comble et hurlait ! Nombre d’entre ces supporters braillants s’étaient déguisés dans toute la clique de SNK[81], mais il y avait aussi des Chun-Li et d’autres de Capcom[82].
Des Kyo et des Terry Bogart levaient le poing en hurlant des cris de bataille.

Un tournoi de KOF dans une vraie arène, quelle aventure !
Quelles émotions aussi, nous n’avions pas été prévenus, et nous nous regardions tremblants et penauds, alors qu’on nous présentait un par un.

Il ne restait plus en compétition que des asiatiques, à part moi et un certain Fabrice, qui ne tarda pas dès le premier match à se faire piler contre mon ami le gras chinois, qui termina sur un perfect qui me glaça l’épine dorsale.

La foule était d’autant plus déchaînée que les matchs étaient subits ; et cette première opposition enflamma si bien les supporters que leurs cris finirent de drainer les autres visiteurs se massant debout, assis les uns sur les autres, scandant le nom des participants.

 

Restant le dernier européen du groupe, mon appel au combat fut singulier : d’un coté tous ceux qui rigolaient en pensant à la pâtée que j’allais me prendre, d’un autre tous ceux qui pensaient la même chose tout en m’encourageant du style « vas y petit gars, bats toi ! ».

 

Echauffé par ces cris et ce mépris hilare, j’étais bien décidé à ne laisser aucune chance à mon premier adversaire, un petit vietnamien gentil comme tout, mais contre lequel je m’étais juré d’agir sans retenue. Il était vif et expérimenté, mais ses minces tentatives ne furent que des vagues maigrelettes s’écrasant contre un roc millénaire, et avec Iori seul je lui achevais ses trois personnages dans les hurlements d’extase de la foule.

Me retournant, je dressais mon poing sur la foule, déchargeant mon stress en leur hurlant de retour que « le petit gars » les prendrait volontiers un par un !

 

Et « petit gars » d’être scandé furieusement, et moi de regretter d’avoir pris toute mon amplitude sur ce match, parce que, si ça se trouve, il avait été qualifié juste pour être tombé contre des très nuls avant, mais, bon. C’était toujours cela de pris.

Dans les gradins, un Moussa en pierre me fixait sans esquisser le moindre mouvement. A ses cotés, Patricia, elle, m’envoyait force encouragements avec ses mains.

 

Les clameurs montaient, les lumières baissaient, l’ambiance se tendait.
Les huitièmes passèrent comme dans un rêve.
Le match n’était pas motivant en soi, mon adversaire s’étant hissé jusqu’à ce niveau du tournoi par sa connaissance d’une large variété de combos infinies et une grande acuité à pouvoir les placer.

Mais l’essentiel de mon entraînement avait été de justement pouvoir contrer ce style de combat, et il enrageait alors que d’un petit coup de poing j’étouffais dans l’œuf un début de combinaison mûrement réfléchi et anéantissais ses espoirs.
En jouant « académiquement »  défensif, j’ai gagné, sans surprise, au temps. Ce n’était pas très glorieux, mais c’était réconfortant, et l’essentiel, c’était la victoire, même si, en l’occurrence, elle fut accueillie par les sifflets de ceux qui ne connaissaient pas le jeu.

 

La musique m’assourdissait, quelque chose de violent et de rock’n’roll qui n’était pas de ma génération.
La salle était debout, les bras levés vers les combattants, et au fond les visiteurs se pressaient toujours plus nombreux et observaient, entassés, ces étranges affrontements.

L’excitation de l’endroit me rendait presque malade, j’avais l’impression que ma conscience était ailleurs.

On hurlait « petit gars » avant même que l’on m’appelle sur l’estrade où se tenait la borne d’arcade. A leurs invectives narquoises je devinais qu’ils pensaient que seul la chance m’avait amené à ce stade de la compétition, et je passais en saluant avec une certaine dérision, ne pouvant réprimer un sourire de rancune.

Tant mieux. Laissez moi vous haïr pour mieux jouer et vous battre tous, vous et vos préjugés, par ma victoire.

 

Le hasard du schéma des affrontements m’épargna encore les Hué et ma Némésis potelée pour me mettre en face d’un super bon qui ne jouait qu’avec des preneurs et qui me donna la frousse de ma vie : il descendit Iori et Shermie avec Clark d’un seul trait, et je l’avais à peine touché, sa barre d’énergie étant donc remontée au max pour ce troisième round qui s’annonçait désespéré.

 

Chris était néanmoins un excellent contre à ce type de combat, et j’abordais l’affrontement avec toute la stratégie que les hurlements et les scansions délirantes pouvaient me permettre.

Dans un désarroi tel que je ne l’évaluais même pas, je fus comme happé physiquement de l’arène d’une aspiration subite.
Je me trouvais contemplant la situation de loin, du coté, du dessus, et même de l’autre coté de l’écran.

Tout semblait lent, si lent. Ce devait être, certainement, en fait, le contraste donné par mon cœur, qui battait à tout rompre. Je choisissais un chemin dans une arborescence de configurations, cela me semblait simple et facile, c’était un fil bleu ciel parmi du noir et du blanc, de la tiédeur dans le froid, froid comme mes mains tremblantes.

Avoir une maîtrise et une amplitude technique est une chose, mais je sentais tout à coup que je sublimais la simple maîtrise du jeu, je m’éloignais dans un monde de l’abstrait où devaient se perdre parfois les joueurs d’échecs, les mathématiciens et les philosophes, où les pions et les sprites ne sont que la matérialité de concepts de territoire et d’avancée, non ! plus encore ! des concepts de mouvement et d’espace, des axiomes avec lesquels je jouais maintenant comme j’aurais pu jongler avec des jouets, avec une rapidité de réflexion telle que le monde me semblait figé.

J’ai gagné avec une candeur enfantine, explorant ce monde de l’abstraction avec naïveté, sans même m’en apercevoir.

On me demanda de céder ma place, et j’étais toujours perdu dans cette abstraction dont je m’extirpais comme depuis un rêve : croisant mon adversaire vaincu, un grand chinois falot avec les dents du bonheur, je le remerciais pour le match offert, malgré moi.


Flottant, éthéré, je tournais mes pas hésitants vers les gradins.

Je fis face un instant, le corps penché, à une foule devenue silencieuse.

Et en son cœur, je vis Moussa sourire, toujours immobile.

 

 

!! Final Boss !!

 


A ma grande surprise, un des matchs de quart de finale se vit opposer les deux frères Hué. Je les observais toujours impassibles monter sur l’estrade, alors que Moussa me tendait un coca frais en me tapant fraternellement sur l’épaule.

 

Quel beau match en perspective !

Le maître contre le disciple, mais il ne s’agissait plus là d’un entraînement.
De plus ils étaient frères : ils devaient se connaître l’un l’autre comme personne. Avaient ils conclu un accord secret ou allaient ils combattre de toute leur dextérité ?

La réponse vint rapidement.


Au style, c’étaient deux furies qui se déchaînaient l’une contre l’autre, ce n’étaient qu’attaques et contre-attaques, d’une violence qui me perturbait. Il n’y avait aucun jeu, aucun amusement dans ces stratégies, il n’y avait que de l’efficacité et la volonté d’oblitérer l’autre.

J’en avais le souffle coupé, Moussa aussi, tandis que la foule tapait des mains et des pieds, inconsciente du massacre émotionnel qui se jouait sous leurs yeux.

Ils auraient pu se frapper à coups de bâtons que cela m’aurait moins fait mal : deux frères, mais aussi maître et disciple, un peu donc, père et fils. Le petit Hué était infernal, implacable, arrogant, revendiquant une victoire légitime, le grand était confiant, efficace, curieux, empli de condescendance devant les efforts de son frère.

Le match fut serré, mais la fin, paradoxalement, me sembla prévisible.


Ayant enchaîné une combo mortelle que son frère n’avait pu arrêter à temps, le match se termina avec une brusquerie fatale.

Avant même que « Victory » ne soit affiché sur l’écran, le grand Hué se leva, et fixa son petit frère avec toute la haine farouche que leurs mines habituellement impénétrables pouvaient afficher, puis tourna les talons et quitta rapidement la scène, furieux et encore emporté par l’intensité du match qu’il venait de disputer.

Vainqueur, le petit Hué resta durant quelques secondes contemplatives devant l’écran.
Il y avait du Romulus, du Caïn dans ce qu’il venait d’accomplir.

Caïn n’avait donné qu’un coup de caillou sur la tête, Hué, lui, avait mis un coup de poignard dans le mental même de son frère.

Moussa me poussa :

-« Va le féliciter pour sa victoire.

- Quoi ?

- Va le féliciter. Tache de le fragiliser, c’est le moment ou jamais. »

Hésitant, j’interceptais le petit Hué alors que deux autres adversaires montaient sur l’estrade. Fantasme personnel ou réalité palpable, je sentais comme une aura de mort le nimber, une puissance encore chaude et trempée de victoire qui pouvait m’absorber à tout moment.

Impressionné, je bafouillais :

-« Euh…bravo…pour ta…pour ta victoire. Tu joues plutôt bien.

- Je suis le meilleur de vous tous. » rétorqua-t-il d’une voix menaçante.

Au moins, il avait le bon état d’esprit. Il m’écarta et quitta aussi la scène. Loin de l’avoir fragilisé, je commençais, moi aussi, à être sérieusement impressionné.

Mais le challenge n’en devenait que plus excitant : les joueurs dans l’âme ne se refont pas.

 

Aux demi-finales, Hué affronta dans le silence d’un auditoire médusé un japonais rapide,– mais pas assez rapide, justement ! - , et gagna sa place pour la finale.

Je déglutis difficilement quand je vis que mon prochain adversaire, le gros chinois, m’attendait finalement avec un regard noir comme la mort.

Il s’était déjà installé sur la grande borne tandis que je refaisais un passage devant les spectateurs qui ne savaient quoi penser de moi à présent. Il appuyait en attendant avec force sur les boutons de sa manette, comme s’il voulait montrer qu’il aurait pu tout aussi bien enfoncer ses doigts dans ma chair.

Il se révéla rapidement dans un style alerte et léger.
Dès le début, rencontrant des difficultés, je voulus m’envoler dans ce monde abstrait noir et bleu, peuplé d’une litanie sourde qui se répétait sans cesse, où ma conscience résolvait des problèmes apparemment simples que mon inconscient traduisait du bout de mes doigts pour m’amener vers la victoire, mais ce monde m’apparaissait soudainement inaccessible.

 

J’ai bien lutté, de toute ma puissance, Iori contre Iori, mais j’ai du admettre ma défaite lors du premier round, et cette fois ci, il y avait une différence réelle de niveau dont le constat me fit perdre courage.

 

En fait je percevais autre chose…car il me semblait se battre comme un noyé se battrait pour rester en vie, une tristesse immense drapant sa chorégraphie de la mort.
Il me semblait palper un désespoir qui me mettait le cœur dans un étau, une frustration qui m’étranglait, un sentiment d’injustice qu’il éprouvait depuis longtemps, et tout ceci m’était transmis dans de gros blocs d’émotions bouleversants. A le ressentir, on aurait tout fait pour l’aider, et j’aurais tant voulu.
A la fin de ce premier round, je me tournais vers lui, et renvoyais son regard pétillant de la joie malsaine donnée par sa victoire avec une compassion telle qu’il en fut troublé.

Je le sentais comme un pote, je voulais l’aider, j’étais si touché que sa sensibilité soit telle qu’il puisse partager son histoire personnelle avec le jeu.

Cela aurait pu être une stratégie en soi, puisqu’avec Chris je reprenais l’avantage en jouant à force modérée, j’achevais son Iori et son Chris de justesse. Dans ses volte-face tourbillonnantes, je le sentais envahi de sentiments contraires.
Ma perception avait du le troubler.

Avec Clark il m’acheva ensuite mon personnage qui commençait à s’essouffler.


Pris d’un tremblement inhabituel, livide, il parut s’effondrer quand Shermie apparut, devant imaginer une puissance que j’avais contenue par stratégie jusqu’à présent.

Il lâcha alors les commandes, m’attrapa par le col de ses mains moites et tremblantes, et me souleva devant le public. Mon T-shirt craquait sous la prise tremblante de ses muscles figés dans la graisse. Il y eu un instant où, me sembla-t-il, il tenta de m’achever par la haine de son regard ; mais de haine, pour ma part, je n’en avais plus.

Alors confronté à son échec, il affermit encore sa prise, détachant mes pieds du sol, et m’envoya le plus grand coup de poing – un vrai, celui-là, de ceux qui font mal – que je devais me prendre dans ma vie, m’envoyant voler sur une courte distance.


Son coup en plein visage n’avait pas touché mon nez mais m’avait suffisamment heurté pour me faire perdre un instant la conscience.

Il se serait jeté sur moi pour en finir si le service d’ordre n’était pas intervenu avec efficacité, le plaquant contre le sol dans les cris des spectateurs enflammés par la tournure des événements.
Je me relevais sur un coude, secouant la tête.

-« Eloignez vous ! hurla le chargé de sécurité alors que la foule scandait son nom.

- Ca va, mec ? », demandais-je avec douceur à mon adversaire, alors que c’est moi qui émergeait du cirage.

Il ne répondait pas. Un regard vide. Un corps inerte, en état de choc. Je m’apercevais que je ne connaissais pas son nom quand je voulu l’héler, et je tournais la tête vers le diagramme des qualifs, mais son patronyme avait déjà disparu tandis que le mien clignotait.
En quelques pas je fus derrière lui et lui glissais avant que la sécurité m’éloigne :

« Rendez vous au prochain tournoi, t’as intérêt à te pointer. Et je viendrai te chercher aux halles. On pourra aussi un peu parler. »

C’était surtout de cette dernière chose, je songeais, que nous trouverions la vraie échappatoire. Un ami à la vie à la mort, une relation scellée par les amitiés du champ de bataille.

On vint me demander si tout allait bien, on me tâta sans que je m’en aperçoive ; j’étais en finale, enfin, et demandais un peu de répit, car j’avais sacrément mal à la mâchoire.
On repoussa l’ultime confrontation le temps d’un épisode d’une parodie amateur d’anime.

Patricia me lança des regards interrogateurs, mais je fis signe à la foule que tout était ok.

 

On m’orienta vers les toilettes réservées aux organisateurs et je passais de l’eau froide sur mon visage. Ca craignait pour le prochain match, songeais-je. La pulsation de mon cœur résonnait dans ma tête ; j’entendais mal de l’oreille gauche, ma vision était quelque peu trouble, et pour finir  un élancement que le froid de l’eau n’arrivait pas à anesthésier me traversait la joue.

« J’ai aussi envie de frapper parfois, mais il ne faut pas confondre les enjeux de la réalité et les objectifs du jeu. »

Petit Hué était à trois mètres, en train de se la secouer devant une pissotière, et parlait sans me regarder.
C’était le moment ou jamais de rattraper ma mauvaise prestation de tout à l’heure et je rétorquais en roulant des épaules :

-« Je t’ai bien maté tout à l’heure avec ton frère. Belle technique. Je pense être capable de la contrer toutefois.

- J’ai d’autres atouts en réserve.

- Oui, mais je me doute de ce qu’ils sont. » ajoutais-je puérilement.

Un échange lancé sur un ton dur et froid. Plus que jamais je ressentais le sentiment amer de jouer « une comédie stérile de la réalité », celle ci préconisée par mon coach, et que mon interlocuteur en faisait tout autant.

Oh, et puis à quoi bon.
Je lui avouais :

« Ne rigole pas, mais en fait au début je suis venu pour la Xbox. »


Il rit quand même, mais de bon cœur, et répliqua :


- « Je pensais que tu m’offrirais un vrai match alors ! C’est dommage.

- J’ai dit « au début », gros malin. Je compte gagner.

- Tu fais bien. Tu as vu les manettes de la Xbox ? Elles sont énormes. C’est injouable.

- Tu connais les américains : leurs testeurs devaient être des fermiers texans avec d’énormes pattes.

- Des ours ouais.

- Ils vont avoir du mal sur le marché japonais », et il rit encore en montrant ses petites mains.

Je m’assis sur le carrelage à coté de l’évier. Personne ne venait ici, c’était calme et isolé de la foule.
Je me sentais revivre, enfin de pouvoir parler avec quelqu’un qui, comme moi, partageait ma passion au même niveau d’émotion.

Hué, quoiqu’aussi expressif qu’un robot, était un mec cool :

-« Alors, KOF c’est ton jeu préféré ? me demanda-t-il avec une économie de geste très stylée.

- Non, sur console, j’aime bien Earthbound. Et puzzle bobble. »

Il ne fit aucune remarque et approuva silencieusement, preuve qu’il avait une culture certaine en la matière. Il m’expliqua, toujours dans sa lenteur et son choix de mots précis, que son jeu préféré à lui était Samourai Shodown[83] et m’avoua regretter que je ne puisse lui apporter un challenge sur ce jeu également.

Dans le feu de notre rencontre, j’osais :

- Alors si je ne gagne pas – hypothèse -, tu vas faire quoi au Japon ? T’as de la famille là-bas ? »

Il me répondit avec des yeux étonnés.

-« Tu ne savais pas ? Tu fais le championnat international quand t’es là bas.

- Ca alors ! Pas possible. »

 

Il commença de m’énumérer à la asiatique, c’est à dire refermant ses doigts ouverts :

- « Et tu rencontres toutes les équipes de développement : SNK, CapCom, Nintendo, mais aussi Square[84]… »

Mais ! Ca changeait tout, cela !
Rencontrer ces équipes prestigieuses…c’était un rêve de longue date.

Combien de lettres je leur avais écrit ! Et rencontrer les champions internationaux de KOF…pénétrer enfin la sphère de l’élite du Jeu Vidéo.

 

Une excitation sourde me prit aux tripes, un tremblement involontaire que vint calmer ma raison.

Etait-ce ma place ?

Après tout, KOF n’était qu’un jeu comme les autres, pour moi. J’appréciais le challenge national, la gloriole, et ma foi la possibilité du prix, mais ce jeu…ce jeu n’était pas une « religion » pour moi, encore moi le focus d’une communauté à laquelle j’aurais voulu appartenir.

Suivant le cheminement logique de mes pensées, je lui demandais :

« Et tu feras quoi quand tu rencontreras toutes ces équipes de développeurs ? »

J’avais étourdiment utilisé le futur, comme si j’avais déjà abandonné. Moussa m’aurait fait avaler ma manette après m’avoir aplati le crâne avec.

Hué eut un instant de réflexion, son regard intransigeant devenu un instant vague, et répondit d’un sourire sincère :


« Je leur dirai simplement : merci. »


Sa réponse me bouleversa.

Je tressautais encore sous l’émotion.
Oui mon gars, t’as raison, songeais-je, merci, il n’y avait que cela à dire.

Merci pour tout ce bonheur que vous avez construit par votre travail, votre intelligence.

Merci pour tous ces rêves que vous avez partagé qui nous ont ouvert l’esprit.

Soudainement, je découvrais en Hué le frère que l’on m’avait caché, un autre pèlerin en terre païenne, comme si lui seul pouvait comprendre mon amour du jeu et du rêve.
Comment pouvais je le voir en adversaire ?

Il vit mon regard plein d’amitié et de reconnaissance, la reconnaissance de ne plus se sentir seul dans notre engloutissement de nos passions, et comprit lui aussi qu’il ne l’était plus.

J’avais envie de lui sauter au cou et de l’étreindre, de parler pendant des heures de tous les jeux auxquels il avait joué, de le découvrir dans ses goûts, mais plus encore de m’amuser avec lui.

Oui, merci, il n’y a que cela à dire, merci pour ces possibilités de sublimation du mental.

Merci de nous avoir fait aimé la vie dans des aspects nouveaux.

Je lui posais la main sur l’épaule :

-« Tu mérites bien de partir, tu sais. 

- Je croyais que tu étais le meilleur, dit il avec une légère ironie.

- Et c’est le cas. »

Je m’éloignais sans lui laisser le temps de répondre et repartais pour la scène où m’attendaient les applaudissements.

Je me promis de lui offrir le match de sa vie.

 

Congratulations !
New high score !

 

Je m’étais faufilé dans les gradins et avais saisi le poignet de Patricia.
Comme tous les autres, les yeux rivés sur l’écran, elle n’avait pas vu que j’avais quitté mon poste et interloquée, elle se laissait mener et je la conduis bien vite à l’extérieur par la porte des organisateurs, dans le secret et le silence d’une foule encore médusée.


-« Mais…le dernier combat…

- Ca n’a pas d’importance, » lui murmurais-je en serrant son poignet avec une tendresse amicale.

Quelques minutes plus tôt, Hué et moi avions pris nos manettes en nous présentant, alors qu’une musique épique tirée de Kenshin tonitruait dans la salle.

Nos prénoms étaient scandés. « Petit gars » était martelé dans l’assemblée.

La bataille n’avait eu d’importance que pour le plaisir que je souhaitais offrir à Hué, mon ami.

Je m’étais déployé comme un oiseau aux larges ailes, le vent de la certitude et de l’amitié gonflant mes performances, emportant mes personnages dans des tournoiements techniques insensés et désarmant toutes ses positions stratégiques.

J’avais atteint par mon seul vouloir ces sommets abstraits, ces mondes gris et bleus, et je pense y avoir trouvé Hué également.

J’avais tenu Hué dans ma main, malgré toute sa puissance, je le tenais, car je l’acculais
implacablement et pourtant il devait sentir toute mon amitié, et ne rien comprendre.

Quand son deuxième perso tomba, je lus dans ses yeux la froide résolution de m’abattre, mais cela ne pouvait rien changer, la partie était terminée car décidée fatalement, car enfin j’étais invincible.

 

Et tous m’avaient vu exécuter ma chorégraphie de la mort avec la certitude des champions ; j’étais devenu le plus fort, et mes réactions poussaient les limites physiques et électroniques de la machine dans leurs extrêmes limites.

La victoire était dans ma main, mais rien pour moi n’avait d’importance que l’amitié que je portais à Hué.

 

Le monde, car la télévision était là, avait les yeux fixés sur l’écran pour ce troisième round qui devait être logiquement le dernier, et dès son début, Hué enchaîna une combo infinie audacieuse, pas de celles qui eussent pu m’abattre alors, mais redoutable néanmoins.

Mais ce que le monde, Hué également, ne vit pas, alors que mon personnage encaissait sans réagir la terrible attaque, c’est que je n’étais plus devant les commandes.

 

Glissant un mot à l’organisateur, un seul, je m’étais enfui discrètement, emmenant Patricia dans mes pas.

-« Et le voyage au Japon ? » me demanda-t-elle alors que nous courrions au travers de visiteurs qui tentaient de nous retenir.

- « Une autre fois. Je lui laisse la première place.

- Mais tu voulais gagner, non !

- Tous ceux qui ont vu ce match, ont vu ma victoire.

- Et la remise des prix ? Et l’interview ?

- Moussa le fera à ma place, j’ai averti les organisateurs. Il en rêvait. Il en rêvait vraiment. Tu as vu ? Nous nous battons tous entre nous. Mais, parfois, tout le monde gagne. »


Je lui fis un clin d’œil complice ; je dévorais sa jeunesse et sa beauté d’yeux libérés de la contrainte de mon entraînement et du tournoi.

J’avais trouvé une solution si admirable à l’énigme que me posait ce jour le grand jeu d’aventure qu’est la réalité que mon cœur se gonflait d’orgueil.

 

A Hué le brave et le passionné la gloire de combattre les plus grands et de réaliser son rêve.

A Moussa mon coach infatigable la gloire de ma compétence et les honneurs du podium.

A moi la fierté d’avoir gagné encore.

 

Elle s’arrêta et me dit sévèrement :

-« Et la Xbox ? Après tout ce qu’on a fait…

- Moussa la récupérera pour moi. »


Elle avait une petite moue de jeune fille qui boude. Quand je la vis encore de mes yeux libérés je fondis complètement et si la perspective de posséder enfin ma Xbox me réchauffait d’un feu brûlant, c’est l’illumination du cœur que m’apporta alors la vision de ce charmant visage.

 

J’observais mon passé avec le recul obtenu dans ces mondes gris-bleutés, puis la regardait, elle.
Je me découvrais amoureux fou de la vie et des hommes, fou amoureux d’elle.


« Tu veux bien venir avec moi ? »


Je lui demandais en offrant ma main. Elle la saisit avec une délicatesse empreinte de sentiments.

 

Plongeant dans son regard, je me trouvais saisi de l’envie de voir le temps s’écouler lentement, de prendre ce temps pour toutes choses.

Je me sentais heureux, comme libéré de toute préoccupation.

Que disais-je tantôt ? Je me souvenais.

La vie est un jeu dont l’objectif est d’en décrypter les règles.

A ce jour, la partie pour moi était gagnée.

 

 

Game Over
Thanks for Playing

 

 

 

 

 

Credits

Jean Benoît

 

 



[1] Player 1 : « joueur 1 » en anglais.

[2] hardcore gamer : se dit des joueurs de jeux vidéos qui consacrent une grande partie de leur temps à leur passion (de six à douze heures par jour), en particulier pour un même jeu.

 

[3] GameCube : console de jeu vidéo de la société Nintendo, concurrent de l’américaine Xbox.

[4] Xbox : console de jeu vidéo de grande puissance (pour l’époque…) créée par le géant Microsoft.

[5] Everquest : précurseur et numéro 1 des jeux de rôle en 3D jouables par un très grand nombre de joueurs simultanément via Internet.

[6] Seiken Denseku 3 : Jeu vidéo sur console Super Nes, suite du légendaire Secret of Mana (lui-même librement inspiré du film d’animation Laputa Castle in the Sky de Myazaki). Action-RPG, il en existe deux versions, une japonaise et une mondiale, la japonaise étant bien plus difficile (la version mondiale est déjà extrêmement difficile…).

[7] RPG : « Role Playing Game » : relative adaptation informatique des jeux de rôle de papier, il en existe deux sous-genre, les japonais qui sont mécaniques, répétitifs et basés sur une trame dramatique intense, et les occidentaux, qui sont ouverts, libres et parfois plus hermétiques.

[8] Avatar d’Ultima : personnage principal, incarné par le joueur, d’une série de mondes virtuels proposés par la mythique série de jeux de rôles informatiques Ultima de la société Origin. Le héros fait figure de messie dans des mondes où il doit réaliser des quêtes mystiques et ne peut pas se permettre d’écarts de sa stricte philosophie du bien.

 

[9] Xp : diminutif pour Points d’Experience. Points accumulés par le personnage lors d’un jeu de rôle qui témoigne de son évolution et donnés en récompense d’actions réalisées. A chaque seuil de Xp, le personnage devient plus puissant. (on dit qu’il change de niveau ou « level »)

[10] Forums : tableaux d’affichages publics sur Internet sur lesquels l’on peut discuter de sujets thématiques ou généraux au sein d’une communauté précise.

[11] Super NES : console mythique qui a marqué le summum (à ce jour…) du savoir-faire de la société Nintendo.

[12] Earthbound : excellent RPG de la société APE se passant dans un contexte moderne et scénarisé comme un road-movie pour enfants.

[13] Breath of Fire : RPG sur super NES se déroulant dans un contexte médieval-fantastique, premier d’une longue série au succès croissant.

[14] Chronotrigger : RPG mythique de l’éditeur Squaresoft ayant bénéficié de la collaboration du Maitre Toriyama (connu pour son manga/anime Dragon Ball). Considéré par de très nombreux joueurs comme le meilleur RPG à la japonaise de tous les temps.

[15] Final Fantasy : célèbre série à succès, titre phare de la société SquareSoft qui a été adapté par la suite en film. RPG situé dans un contexte « futur du XIXème siècle » à la Jules Verne, mais aussi Médiéval fantastique et futuriste (très baroque, donc !). Selon les puristes, le 6ème épisode est l’un des meilleurs RPG à la japonaise de tous les temps.

[16] Levelling : augmentation mécanique du niveau des héros d’un RPG par l’accumulation de xp.

[17] Boss : ennemi majeur d’un jeu vidéo, se trouvant à la fin d’un long niveau éprouvant, en général, de dix à mille fois plus difficile à battre qu’un adversaire standard, qu’il faut battre à travers des stratégies inhabituelles et spécifiques et dont la mort correspond généralement à l’achèvement d’une quête et donc à l’accession d’une nouvelle partie du jeu.

[18] Fate of Atlantis : titre mythique de la compagnie mythique Lucasarts, FOA met en scène magistralement un hypothétique 4ème épisode de la série des Indiana Jones dans un jeu d’aventure que beaucoup considèrent comme le meilleur jeu d’aventure de tous les temps. Les roues solaires auxquelles fait allusion le récit sont à la fois le système de protection contre la copie du jeu et également une énigme dans le jeu.

[19] Chani : compagne de Paul Atréides dans le jeu vidéo superbement réalisé : Dune de Cryo tiré du roman éponyme de Frank Herbert.

[20] Shodan : Intelligence artificielle mégalomane d’apparence féminine qui cherche à anéantir l’humanité dans la série des System Shock d’Origin.

[21] Maureen : Habile mécano et riche héritière du jeu d’aventure rock & roll Full Throttle de Lucasarts.

[22] Elaine : Elaine Marley est le gouverneur de l’Ile de Mélée dans la série mythique des Monkey Island de LucasArts dont le premier épisode est considéré par beaucoup (encore !) comme le meilleur jeu de tous les temps. A noter que Orson Scott Card a participé à l’élaboration des dialogues de cet opus déjanté qui se veut l’héritier de l’humour addictif de PG Wodehouse.

[23] Ultima Underworld : RPG occidental à vision subjective et à liberté de mouvement ayant défrayé la chronique au début des années 90 et considéré par beaucoup comme le meilleur RPG de tous les temps. Ce jeu plonge l’Avatar dans le cœur d’un immense volcan appelé l’Abysse Stygien.

[24] LucasArts : anciennement LucasFilm Games, société majeure de l’industrie du jeu vidéo fondée par Georges Lucas s’étant imposée par ses jeux d’aventures inoubliables.

[25] NES : Nintendo Entertainment System : console de jeu vidéo précédant la Super Nes et ayant également contribué au succès mondial de la société Nintendo.

[26] Duck Hunt : un des tous premiers jeux inoubliables de la NES dans lequel le joueur tire sur des canards avec un pistolet optique.

[27] King Of Fighters : jeu vidéo en 2D de la société SNK sur Néo Géo qui bénéficie d’un grand succès auprès d’une communauté de fans et qui justifie la sortie en borne d’arcade de nouveaux titres tous les ans, malgré la toute puissance de la 3D actuelle.

[28] Japan Expo : convention annuelle regroupant les industries de l’animation et de l’édition de type manga japonaise.

[29] Dating Game : Type de jeu très populaire au japon dans lequel le joueur doit séduire un ou plusieurs personnages virtuels ; le contexte habituel étant principalement la vie scolaire et le mécanisme se rapprochant des RPG.

[30] Gameboy : console portable construite par la société Nintendo et leader sur son marché depuis toujours.

[31] Pokemon : concept à très grand succès décliné en plusieurs dizaines de produits (série télé, jeux de cartes, merchandising…) lancé par la société Nintendo qui retrace l’histoire d’un éleveur de créatures imaginaires.

[32] The Sims : Jeu à très grand succès de la société Maxis, spécialisée dans les jeux de simulation/gestion, qui offre la possibilité au joueur de contrôler la vie domestique et psychique d’un personnage et qui a popularisé le jeu vidéo auprès d’un public féminin jusque là indifférent.

[33] Tétris : Jeu immortel de stratégie/action, dans lequel on empile des modules géométriques pour constituer des lignes, conçu sans brevet par Alexei Patchinov et porté sur tous les standards. Initialement créé pour évaluer empiriquement la vitesse d’exécution des processeurs.

[34] Gabriel Knight : héros du jeu éponyme édité par Sierra On Line et scénarisé par des écrivains professionnels. Libraire et écrivain à la nouvelle Orléans, Gabriel est aux prises avec un culte vaudou.

[35] Yo, Joe ! est un jeu vidéo de plateformes J

[36] Kenshin : Héros de la série Ruroni Kenshin (Kenshin le Vagabond) mettant en scène un remarquable tueur de l’époque Edo mais prônant désormais le pacifisme aux débuts de l’ére Meiji. Cette série a obtenu un succès considérable dans le monde entier. Manga et adaptation tv par Watsuki.

[37] Kaoru : jeune héroïne de la série Ruroni Kenshin.

[38] Yuyu Hakusho : (le livre blanc de Yuyu) Célèbre Manga du maître Togashi, met en scène des combats épiques entre un jeune lycéen ressuscité des morts et des créatures de l’au-delà. Le dessin animé qui compte plus de 110 épisodes a été consacré « meilleure série animée de tous les temps » au Japon.

[39] Togashi : Auteur (entre autres) des séries Yuyu Hakusho et Hunter X Hunter.

[40] Hentai : qualificatif se rapportant à tout produit de nature pornographique ou érotique dans le cadre du triptyque manga/anime/jeu vidéo.

[41] DivX : format de compression des vidéos ayant grandement facilité leurs échanges via Internet, notamment à l’ère du DVD. Assimilé dans le jargon au film lui-même.

[42] Mégumi : personnage féminin de la série Kenshin, qualifiée de « femme fourbe » et parfois représentée sous la forme d’une femme renard pour illustrer son coté sournois.

[43] Siam Shade : Groupe de pop japonaise ayant entre autres réalisé le générique de fin de la deuxième saison de Ruroni Kenshin : « 1/3 ».

[44] Noritaka : Héros de la série humoristique éponyme accablé de tous les défauts du monde (faiblesses physiques et déviances morales) mais qui grâce à son implacable volonté réussira sous le pilotage de son coach à devenir un champion mondial de Boxe Thai.

[45] Robinson’s Requiem : jeu de survie de la société Silmarils qui a le particulier honneur d’être le seul jeu de la base de données The Underdogs référence en la matière d’avoir obtenu le seuil de difficulté « sadique », seuil de toute façon inventé expressément pour ce jeu.

[46] Nethack : Jeu de rôles en source libre (c’est à dire que tout le monde peut le copier, le modifier…) développé depuis plus de 20 ans et qui n’autorise en tout et pour tout qu’une seule vie sans sauvegardes additionnelles pour terminer le jeu. Le jeu, tout en caractères typographiques, est dépourvu de graphisme et met en exergue l’imagination et la créativité.

[47] X-Wing : simulateur de vol spatial de la société Lucasarts situé dans le monde de Star Wars, sur lequel le magazine Joystick a écrit à la sortie de son addedum B-Wing : « Les maîtres de l’univers ayant fini X-Wing sans tricher se comptent sur les doigts de la main. »

[48] Counter Strike : déclinaison très célèbre du jeu « Half Life » (ayant remporté tous les prix possibles dans le domaine du jeu vidéo) mettant en scène une équipe de terroristes luttant contre une intervention policière dans des cadres divers. Icône typique des hardcore gamers.

[49] Billy Kane : personnage de KOF utilisant un bâton comme arme.

[50] Perfect : fait de battre un adversaire sans recevoir un seul coup.

[51] Straight : fait de battre trois adversaires au cours d’une partie avec le même personnage.

[52] Daggerfall : jeu de rôles mythique de la société Bethesda qui doit sa célébrité à son univers extrêmement vaste et ouvert, et sa durée de vie immense.

[53] Game one : chaîne de télévision consacrée aux jeux vidéos. (Et par voie de conséquence, à l’anime/manga)

[54] Soujiro : personnage de la série Ruroni Kenshin inspiré par le personnage de Chris de KOF. (Watsuki étant un grand fan de jeux vidéos). Soujiro est un enfant martyrisé par une belle famille qui le force, entre autres labeurs, à transporter de nombreux sacs de nourritures trop lourds pour lui.

[55] Baka : suffixe signifiant « stupide » en japonais.

[56] Arigato : francisation du « merci » japonais.

[57] Sempai : suffixe désignant la personne plus expérimentée, âgée, à qui vous devez le respect naturel.

[58] Puzzle Bobble : suite du jeu à succès Bubble Bobble mettant en scène deux dragons chargés de vider un cadre rempli de billes colorées en les entrechoquant avec d’autres billes.

[59] Sprite : élément graphique visuel en deux dimensions et mobile sur l’écran. Par exemple, le personnage du joueur.

[60] Chan : francisation du suffixe japonais attribué aux plus jeunes.

[61] Hunter X Hunter : excellent manga du maître Togashi. Pour certains, c’est la référence de la littérature d’aventure du XXIème siècle.

[62] Entraînement secret phase 3 ! : phrase typique du « coach » dans le manga Noritaka.

[63] Grrr : Canadien champion du monde de Starcraft, un jeu de stratégie en temps réel.

 

[64] Sensei : francisation du suffixe désignant le « maître » (au sens de maître et disciple) en japonais.

[65] Blur, Jamiroquai, The Offspring, Bowie, Queen... Beethoven, Mozart, Bach…: vous aviez compris que tous ces artistes avaient produit des œuvres reprises aujourd’hui dans des jeux vidéos !

[66] Arcane Suprême : scène paroxystique de la série Kenshin dans laquelle ce dernier apprend de son maître l’ultime technique de son enseignement.

[67] Cosplay : Hobby dont les amateurs se déguisent le plus fidèlement possible en un personnage du triptyque manga/anime/jeu vidéo (les anime étant néanmoins les plus fréquemment représentés.)

[68] Wing Commander : Simulation de vol spatial légendaire de la société Origin à forte capacité immersive, appréciée surtout par les scènes intermédiaires venant appuyer la trame dramatique fine de l’ensemble, et dont le deuxième opus a obtenu pas moins de 100% dans le Joystick de l’époque.

[69] Kenshin…Shishio, Yumi : personnages de la série Ruroni Kenshin.

[70] St Seiya : célèbre série anime et manga mettant en scène la lutte mystique de chevaliers au service de puissances assimilées à des dieux issus de la mythologie de l’antiquité. Connue sous le nom de « chevaliers du zodiaque » en France.

[71] Shinji, Rei : héros de l’incontournable série mécano-mystique « Evangélion » du studio Gainax qui a célébré le début du snobisme dans l’anime. A noter que Gainax produit également des jeux vidéos.

[72] Lina Inverse : héroïne de la série humoristique médiévale fantastique « Slayers ».

[73] Lamu : héroïne de la série tv humoristique éponyme.

[74] Mokona : lapin sans pattes et guide étrange des héroïnes de la série « Magic Knights Rayearth » de Clamp.

[75] Gaimon : insolite pirate barbu emprisonné dans un coffre dans le monde délirant du manga « One Piece » de Eishiro Oda.

[76] Zorro Roronoa : chasseur de pirates, reconverti en pirate, issu du manga « One Piece », ayant l’extraordinaire faculté de combattre avec trois sabres en même temps (un dans chaque main, et pour savoir comment il tient le dernier, je vous renvoie à la lecture du manga !)

[77] Madoka : jeune héroïne de Kimagure Orange Road, série à l’eau de rose mondialement célèbre (la série des Juliette je t’aime en français).

[78] Mystérieuses cités d’or : série animée franco-japonaise incontournable, inspirée librement du roman « la route de l’or » de Scott O Dell et qui a généré des millions de fans. Encore diffusée à la TV après 20 ans de succès.

[79] Ranma ½ : série animée humoristique dans laquelle entre autres singularités le héros à le pouvoir de changer, involontairement, de sexe.

[80] Toulon : la convention « Cartoonist » de Toulon est l’une des plus importantes dans le domaine du triptyque, ainsi qu’un des précurseurs.

[81] SNK : société éditrice de KOF.

[82] Capcom : société éditrice entre autres de jeux de combats (Street Fighters étant le plus populaire) et donc concurrente logique de SNK.

[83] Samurai Shodown : jeu de combat entre samouraïs sur Néo Géo, l’un des meilleurs jeu de combats jamais réalisés.

[84] Square(soft) : Société phare et référence des RPG sur console.